Sous la plume de Marianne

Sous la plume de Marianne

Sous la plume de Marianne, il y a...


Y a du divin en toi ! Ça c'est certain !

 

 

A la base, comme disent les jeunes et les moins jeunes (j’ai une aversion épidermique pour cette expression), le covoiturage permet de faciliter le déplacement d’un point A à un point B. Mais il est loin de n’être que cela. Il est un panel assez représentatif de la société. Mes nombreux trajets m’ont permis souvent de croiser des personnes insolites, attachantes, remarquables, bienveillantes, et plus rarement mal embouchées. Lorsqu’elles sont grognons façon le regretté Jean-Pierre Bacri, c’est assez croustillant.

 

Récemment, je rentrai de Pontoise pour rejoindre Angers. J’étais passablement chargée. De ce fait, j’espérai trouver un covoiturage avec une voiture suffisamment spacieuse pour primo, accueillir mes bagages, secundo mes longues jambes. Je demandai donc à mon ange gardien s’il avait quelque temps de libre en ce moment pour s’occuper de moi.

 

Quelques heures plus tard, une offre se présenta, presque inespérée avec une voiture digne de ce nom pour accueillir mon chargement. Profil du conducteur ? Matthieu, 20 ans, expliquant sur son annonce qu’il était souple sur les horaires et sur les lieux de rendez-vous et que sa voiture (Opel Zafira 2005) n’avait pas pu être reconnue par l’algorithme de Blablacar en raison de son grand âge, mais que vieille ou pas, « le coffre est immense ! » ajoutait-il.


Ni une, ni deux, je réservai. Tout était parfait. D’autant plus parfait que j’étais la seule passagère à bord de la « vieille » voiture. Ce faisant, tout le monde voyagerait à son aise, mes bagages et mes jambes. Le jour J, nous nous retrouvions sur le lieu de rendez-vous. Une Opel Zafira beige s’arrêta devant moi. Un petit bonhomme d’un mètre 60 tout au plus, en sortit. Tout fluet et sautillant, Matthieu m’accueillit le sourire aux lèvres.

 

- Matthieu, heureux de faire votre connaissance.

- Marianne. Plaisir partagé. On se tutoie ?

- Heu…je vais essayer mais ne m’en voulez pas s’il y a des ratés, dit-il avec respect.

 

Je compris que les 40 ans qui nous séparaient pouvaient l’empêcher d’adopter une forme de proximité. Avec égard, il se saisit de mes bagages, les installa dans le coffre et m’invita à rejoindre le siège avant. Le « A » collé sur le pare-brise arrière attestait des quelques heures de vol de mon jeune chauffeur.

 

- Ne vous inquiétez pas. La voiture fonctionne très bien.

- Pourquoi serais-je inquiète ?

 

Matthieu me montra le levier de vitesse encapuchonné dans une sorte de boule de plastique recouverte de laine.

 

- Cela n’empêche pas la voiture de rouler, précisa Matthieu. Parfois, la marche arrière est compliquée car il y a un geste précis à faire mais tout ira bien.

- Je n’ai aucune crainte. Je me sens en sécurité avec vous.

- Ah oui ? Peut-être faudra-t-il s’arrêter en cours de route pour permettre au moteur de refroidir. On avisera. Vous êtes bien installée ?

- Parfaitement bien.

- Tenez, c’est pour vous.

 

Matthieu me tendit une bouteille d’eau. Je le remerciai, sensible à son attention.

La première enclenchée, nous voici partis vers notre destin. Suspendue au rétroviseur, une belle croix bleue. Très rapidement, Matthieu voulut en savoir plus sur ma personne. Que faisais-je dans la vie, quelles études avais-je entreprises. Je lui renvoyai la question. Avec un regard malicieux, Matthieu me répondit :

 

- Non, toi d’abord ! répondit-il à la manière d’un jeune enfant.

 

Je me pliai volontiers à l’exercice. Je terminai mon récit par un « A toi maintenant ! ».

Mon jeune ami m’expliqua qu’il venait de terminer ses études pour en commencer d’autres, dans un tout autre domaine. Ses études, il ne les avait pas vraiment choisies ; c’était Dieu qui l’avait guidé. Interpellée, je me tournai vers Matthieu qui saisit mon étonnement.

 

- Tu crois en Dieu Marianne ?

 

S’il est une question à laquelle je ne m’attendais pas, c’était bien celle-ci. Mon mental, toujours très véloce pour me raconter des histoires à dormir debout ou pour entretenir mes peurs, commença allègrement à me dire que je devais être en compagnie d’un jeune fondamentaliste, que j’allai être endoctrinée le temps du voyage et que si je n’acceptai pas de rejoindre le mouvement religieux auquel ce jeune homme devait appartenir, je finirais mal, très mal.

 

- Comment te dire…lui répondis-je.

- Ma question te met mal à l’aise ?

- Pas du tout, ajoutai-je faussement.

 

Que répondre à Matthieu ? Je m’en remis à mon cœur qui m’aida à trouver les mots qui me semblaient les plus justes, les moins simplistes face à une telle question existentielle. Je racontai à mon jeune interlocuteur que j’avais été élevée, comme la plupart des enfants de ma génération, dans la religion catholique. Parents croyants, pratiquants puis école catholique ; uniforme, jupe bleue marine, chemisier blanc ou bleu ciel, communion, confirmation, que sais-je…

 

- Non ? S’exclama Matthieu comme si ma « confession » le rassurait. Donc tu crois en Dieu, répéta-t-il.

- Je crois dans quelque chose qui dépasse tout dogme au sens où nous l’entendons. Je crois dans une forme d’esprit « supérieur » devant lequel nous sommes bien peu de choses. Comment, ajoutai-je, ce merveilleux qui existe sur cette terre a-t-il pu être crée sans ce que j’appellerai une forme de divin ?

- Donc tu crois en Dieu, insistait mon jeune ami.

 

Je posai un silence histoire de trouver les mots que Matthieu pouvait entendre. Je n’avais pas envie d’y aller franco en lui disant « non, Matthieu, je ne crois pas en Dieu comme toi ».

 

- Ce que je pourrais appeler Dieu, c’est l’univers, c’est le vivant. Bref, tout ce qui nous entoure, nous accompagne. L’eau, la nature, le vent, le soleil, l’amour aussi…C’est une forme de Dieu, non ? Lorsque quelque chose de beau arrive dans ma vie, je remercie je ne sais pas qui, mais je remercie. Et puis, il y a forcément des « âmes » qui veillent sur nous.

 

Matthieu semblait perplexe.

 

- Mais est-ce que tu pries ?

- Non. Enfin si. Enfin pas vraiment.

- Ça veut dire quoi « pas vraiment » ?

 

La jeunesse ne connait pas la modération. C’est soit blanc, soit noir. Dieu soit loué, ai-je envie d’ajouter.

 

- En y réfléchissant, si, je prie.

- Ah ! Tu vois !  Répondit-il avec un large sourire.

- Le soir, avant de m’endormir, je récite un « Salut Marie » et…

- Non ? Trop bien !!

- Je remercie Marie pour avoir veillé sur mes proches et les personnes qui me sont chères, pour m’avoir offert cette journée, même quand cette dernière a été franchement moyenne.

- Je savais que tu avais Dieu en toi.

 

Ce garçon était incroyable de candeur, de douceur, et d’enthousiasme. J’ajoutai que le matin, je remerciai « je ne sais qui » pour m’offrir le privilège de me réveiller en bonne santé, de pouvoir marcher, voir, entendre, vivre…et d’offrir ce privilège à ceux que j’aimais.

 

- Quand même Marianne ! Tu dis que tu ne crois pas vraiment en Dieu comme moi je crois en lui mais en t’entendant, pardon mais tu crois carrément en Dieu !! Y a du divin en toi, ça c’est certain !

 

Je regardai la croix bleue suspendue au rétroviseur.

 

- Cette croix…c’est à toi ?

- Non. C’est à mon père comme la voiture !

 

Matthieu m’expliqua qu’il rejoignait Angers pour vider un appartement qu’il avait loué au cours de ses études.

 

- Mon père m’a prêté sa vieille voiture. Il en a une autre bien plus moderne, une 5008 qui lui sert à transporter les achats pour le restaurant.

 

C’est alors que Matthieu commença à me raconter la vie de ses parents. Dans les années 90, son père, Egyptien, était venu en France pour autant de raisons que toutes ces personnes qui fuient leur pays pour trouver paix, sécurité et accessoirement un travail. Le père de Matthieu trouva un emploi dans la restauration. Quelques années plus tard, il rencontra une jeune femme venue d’Egypte et originaire du Soudan, biologiste de formation, fuyant elle aussi son pays. Une rencontre, un premier baiser, un couple et quelques années plus tard, une famille. Quatre enfants. Matthieu a une sœur aînée, un frère jumeau, et une petite sœur. Aujourd’hui, le père de Matthieu a son propre restaurant. Un restaurant italien (!?) à Montmartre. Il y travaille en famille avec l’un de ses frères venus le rejoindre.

 

- Sur ce que j’ai de plus précieux Marianne, je te jure que le restaurant de mon père c’est le meilleur italien de tout Paris !

 

Matthieu m’expliqua que sa famille, toujours en Egypte, ses parents, lui bien sûr, étaient des Chrétiens d’origine copte (*), que la religion occupait une place importante dans leur vie, que la vie, belle ou difficile, était une manifestation de Dieu ; que c’était ce même Dieu qui nous guidait dans nos choix, y compris dans nos indécisions où il prenait alors la main pour nous aider à trancher, à avancer. J’écoutai attentive, intéressée par les mots de ce jeune homme au regard pétillant, habité par cette lumière intérieure qui s’invite souvent, je trouve, dans l’âme d’êtres croyants ou religieux.

 

- Tu vois en ce moment, je prie.

- C’est-à-dire ?

- Je remercie Dieu pour notre rencontre et pour m’avoir permis de croiser ton chemin. Tu peux prier là maintenant ?

- Pas vraiment. Ma prière, au sens où je l’entends, je la pratique plus volontiers dans un environnement propice à cela. Une forêt, un bord de mer…C’est dans ces moments-là où je peux me connecter à quelque chose d’impalpable, le vent, le soleil, les arbres, l’eau…alors là, oui d’une certaine façon, je prie. Je remercie pour cette beauté, je remercie pour avoir la chance d’être là en bonne santé, libre de mes faits et gestes, je remercie pour…

- Désolé de te le dire mais tu crois en Dieu ! Tu as vu comment tu parles ? Tu pries Marie le soir, tu remercies, donc tu es dans la gratitude, tu t’émerveilles, et puis cette lumière en toi, moi je la vois ! Tu es reliée à Dieu mais toi, tu ne le sais pas.

- Pourquoi pas, répondis-je dubitative.

 

Je trouvai mon jeune ami tellement attendrissant dans cette conviction qui ne souffrait d’aucun doute. Les parents de Matthieu ne l’avaient pas contraint à croire en Dieu. Ils lui en avaient parlé souvent, certes, lui citant parfois des phrases de l’Evangile pour l’aider à comprendre certaines choses de la vie. La religion faisait partie des us et coutumes de la famille comme ces moments chaleureux autour d’un bon plat, comme les vacances en Egypte pour retrouver la famille. A mi-parcours, la maman de Matthieu l’appela.

 

- C’est ma mère. Cela ne te gêne pas que je lui réponde ?

 

Pouce levé, je lui répondis par l’affirmative. Matthieu échangea quelques brèves phrases avec sa maman et raccrocha.

 

- Je l’ai rassurée. Elle est un peu mère poule tu sais. Je lui ai parlé de toi. Je lui ai dit que j’avais trouvé ma deuxième maman, que tu étais top !

 

Il faisait terriblement chaud dans la voiture. Mes joues avaient très chaud. D’émotion.

 

- Tu parlais arabe avec ta maman ? Je n’ai pas tout compris, lui dis-je en souriant.

 

Matthieu m’expliqua qu’il était bilingue, précisant que les Egyptiens parlaient l’arabe littéraire.

 

- C’est l’Arabe le plus pur, celui qui est le plus proche de ses racines originelles ; celui-là même qui a servi aux premières écritures, ajoutant qu’il pouvait comprendre des personnes parlant arabe en Arabie Saoudite, au Qatar, etc., mais non l’arabe parlé dans les pays du Maghreb qui était un amalgame de langues grecque, maure, etc.

 

La route suivait son cours. Matthieu était gai comme un pinson. Il me proposa d’écouter des chansons en langue arabe qui n’étaient autres que des louanges. Va pour les louanges qui - belle découverte - étaient magnifiques tant musicalement que vocalement.

 

- Je suis content de t’avoir rencontrée.

Quelques secondes plus tard, il sollicita mon avis sur un sujet qui lui semblait important.

 

- Tu penses que c’est le rôle des profs, de l’école d’éduquer les enfants ?

 

Je réfléchissais à la possible réponse, la charge de « seconde maman » faisant peser plus encore l’enjeu de ma réponse (:-).

 

- Tu vois ces arbres le long de la route ? Ces arbres ont des racines. Au plus ces arbres s’élèvent dans le ciel, au plus leurs racines sont profondes. Si un enfant n’a pas de racines solides - c’est-à-dire ses parents - qui l’aident à s’élever dans tous les sens du terme, il lui manquera une part fondamentale pour se construire. Il sera plus fragile, moins résistant. A mes yeux, l’école n’est pas là pour élever. Pour reprendre la métaphore de l’arbre, l’école apporte de l’eau au jeune arbre, elle l’aide à pousser, à apprendre, à l’ouvrir au monde. Certes. Mais tout cela n’est possible qu’à condition qu’un arbre ait déjà des racines.


Je doutai d’avoir été claire. Matthieu tourna le visage vers moi, ses yeux noirs grand ouverts.

 

- J’adore ton image avec l’arbre. J’adore ! Tu es vraiment la boss toi alors !

 

Je ne percutai pas tout à fait sur la définition de « boss » mais j’imaginai que ce devait être un mot plutôt sympathique, voire un compliment.


Le voyage arriva à son terme. Matthieu s’arrêta, s’empressa d’ouvrir le coffre, d’en sortir ma valise, de me demander si j’avais fait un bon voyage. Je lui répondis que j’avais été sincèrement heureuse de l’avoir rencontré, que je lui souhaitais bonne chance sur ce chemin qui était le sien, que je n’étais pas inquiète pour lui et qu’il était bien accompagné… Il me fit remarquer qu’il s’était passé quelque chose de curieux lors du voyage.

- La voiture n’a même pas chauffé une seule seconde ! D’habitude, il faut s’arrêter souvent.

- Et ?

- Preuve qu’on était protégés toi et moi par Dieu, que tu as Dieu en toi. Je te jure ! T’es juste la boss Marianne !!


La boss ? Ni une, ni deux, à mon retour, je sollicitai l’intelligence artificielle (française) « Le Chat Mistral » et demandai « De toi à moi, le Chat, que signifie être le boss en langage de « djeun » ? Deux secondes plus tard, la réponse s’afficha sur l’écran : « L'expression « c'est juste la boss » est effectivement un langage familier souvent utilisé par les jeunes. Dans ce contexte, cela signifie que la personne en question est exceptionnelle, impressionnante, ou tout simplement géniale. C'est une façon de montrer une grande appréciation ou admiration pour quelqu'un ». Le soir, Matthieu m’envoya un message pour me remercier de notre rencontre. De simple passagère, j’étais passée au statut de « seconde maman » et de « boss ». A n’en pas douter, je me souviendrai longtemps de ma rencontre avec ce petit lutin. Matthieu m’aidera-t-il peut-être à croire un jour en Dieu. Du moins, l’espère-t-il… Ce jour-là, le divin, c'était lui.

 

 

 

 

 

(*) Les Coptes sont aujourd'hui les habitants chrétiens d'Égypte. La très grande majorité des Coptes sont membres de l'Église copte orthodoxe dirigée par un primat, mais il existe aussi depuis le XIXe siècle une Église catholique copte, ainsi qu'une Église évangélique copte. Devant les soubresauts de l'histoire de l'Égypte qui a fait de la communauté copte une minorité, une diaspora s'est progressivement organisée, notamment au cours du XXe siècle (source Wikipédia)

 

 

 


01/06/2025
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Ze t'aime Maman

 

 

 

Parce que être maman est un job à temps plein.


Ce qui suit n’est pas inspiré de faits réels. Ce sont des faits réels.

 


Dimanche 25 mai - Fête des mères - Matin - Piscine

 

Je sors du bassin et rejoins une cabine pour me rhabiller. De l’autre côté de la paroi, un trio de voix.

 

Scène 1 – Intérieur – vestiaire piscine – Clara (la plus petite), Jules (le grand frère) et leur maman

 

- Jules, mets ton maillot s’il te plait.

- Bonne fête maman ! (Jules)

- Non c’est moi d’abord qui le dis ! Ze t’aime maman (Clara)

- Moi aussi ma chérie.

- Bonne fête maman, bonne fête maman, bonne fête maman ! (Jules)

- Oui c’est gentil mon chéri. Mets ton maillot. Dépêche-toi un peu.

- Aïe ! Zules m’a tiré les ceveux !

- Même pas vrai !

- Arrêtez ! Clara tu n’as pas encore mis ton maillot ?

- Bonne fête maman ze t’aime, ze t’aime…. (Clara)

- Moi aussi je t’aime mais s’il te plait mets ton maillot. Jules arrête de jouer avec les lunettes de piscine de ta sœur !

- Cé mes nunettes ! Donne les moi ! (Clara)

- Bon, ça commence à bien faire tous les deux ! Si vous continuez, on rentre à la maison !

- En maillot de bain ? Oh oui, oui ! Ce serait rigolo ! (Jules)

- Maman, j’ai envie de faire pipi (Clara)

- Maman, j’ai faim (Jules)

- Vous vous êtes donnés le mot pour me pourrir la journée ?

- Ze t’aime, ze t’aime ma maman (Clara)

- C’est moi qui l’ai dit le premier ce matin ! Bonne fête maman, bonne fête…(Jules)

- Non c’est moi ! (Clara)

- Stop !! Sortez de cette cabine !

- Mais on est tout nus !? (Jules)

- C’est pas vrai…Je compte jusqu’à trois. Si à trois vous n’avez pas mis vos maillots, je vais me baigner toute seule, compris ?

- Mais tu es nue toi aussi…Bonne fête maman, bonne…(Jules)

- Maman ? (Clara)

- QUOI ENCORE ???

- Zules et moi bah on t’aime gros comme ça !!

 


25/05/2025
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A l'ombre d'un doute

 

 

Elle imaginait un monde où chacun deviendrait un super-héros, doté non de super-pouvoirs, mais d’inspiration et d’actes. Portée par une confiance inébranlable, elle croyait fermement à la participation citoyenne et à ses promesses : démonolithiser le quant-à-soi, relier les esprits pour transformer notre monde. Quel défi ! Même si ce dernier pouvait paraître inconscient et prétentieux aux yeux de certains.

 

Ecrivain biographe, elle se plaisait tout autant à écouter des histoires qu’à raconter celles des autres. Journaliste, elle aimait les mots. Certains d’entre eux résonnaient en elle en mode majeur et lui semblaient inaliénables. Ainsi, « démocratie » et « engagement » qu’elle tentait d’incarner de son mieux dans un monde aspiré dans un vortex d’agitation stérile. On avait beau lui répéter qu’elle se berçait d’illusions, qu’elle rêvait à haute voix, qu’il lui fallait accepter ce monde tel qu’il était, dépenaillé de plus en plus de son humanité, elle répondait à cela qu’elle continuerait de croire sans faillir à l’émouvante légende du colibri, rendue célèbre par l’humaniste Pierre Rabhi ; vous savez, ce petit oiseau qui apporte en son bec une minuscule goutte d’eau afin d’éteindre un vaste incendie dans la forêt. Faire sa part, voilà ce qu’elle avait à cœur d’entreprendre sur cette planète « bleue comme une orange », comme l’écrivait si joliment le poète Paul Eluard, et qu’importe les Cassandre qu’elle rencontrerait en route.

 

Pourtant, le chemin de l’engagement est loin d’être un long fleuve tranquille. Elle le savait. Il est même une voie qui, dans quelques occasions, peut nous rendre prétentieux. Rattrapés par notre ego, nous voici à penser que nous avons le pouvoir de changer le monde, d’engager une révolution douce mais durable, révolution dont, bien sûr, nous serions un acteur, voire l’un de ses héros. Quelle fatuité !

 

Lorsque ce n’est pas notre ego qui se complaît à nous raconter de belles histoires, ce sont les sceptiques qui se découvrent au détour d’une conversation engagée sur les vertus du désengagement. Ces mêmes sceptiques qui l’invitent, dans un élan de fausse commisération, à renoncer à ses aspirations et à accepter le monde tel qu’il est. Bref, à se résigner. Dans ces moments-là, elle ferme les écoutilles. Quoi qu’il arrive, ne pas céder, continuer à faire sa part.

 

Sa part, c’était d’avoir rejoint le Conseil de développement d’Angers où elle vivait depuis quelques années. Membre assidue et engagée, elle consacrait de nombreuses heures à des réunions parfois interminables, dont elle ressortait en se demandant si quelque chose de concret en résulterait un jour. Elle réfléchissait et imaginait d’autres possibles, formalisés dans des rapports remis aux élus. Parfois, elle se demandait ce que deviendraient ces pages de réflexions étayées. Viendraient-elles s’ajouter à d’autres empilées, cernant le bureau des édiles telle une citadelle imprenable ? Ou peut-être aideraient-elles à caler une porte ? Ou, encore, le rapport « changement climatique, solutions et propositions » servirait-il d’éventail les jours de grandes chaleurs…

 

Oui, parfois le doute s’immisçait. Toutes ces heures passées à construire des « lendemains qui chantent » valaient-elles vraiment la peine ? Puis, un jour, ce doute commença son œuvre, enfonçant lentement son dard pernicieux dans son esprit. Sa décision était prise. Elle quitterait le Conseil de développement. Dans ce goût d’inachevé qu’elle ressentait comme un échec qui ne disait pas son nom, il y avait aussi un autre goût, celui de l’amertume, de la désillusion...

 

Une décision est une chose. Ce qu’en fait la vie en est une autre. Souvent bien différente. Quelques jours plus tard, une opportunité inattendue se présenta. On lui proposait de participer aux 9èmes Rencontres européennes de la participation citoyenne. L’événement se déroulait au cœur du sérail de la démocratie européenne : Strasbourg. Curieusement, alors que les choses étaient claires quant à son désengagement local, elle répondit sans l’once d’une hésitation qu’elle prendrait part à cette manifestation.

 

À son arrivée dans la capitale alsacienne, elle fut saisie par une étrange sensation. Il y avait dans cette ville une énergie particulière ; de celles qui nous portent, nous élèvent. Il lui fut proposé de découvrir le Parlement Européen. De la même façon qu’il lui avait semblé évident de rejoindre Strasbourg pour participer audit événement, il lui semblait incontournable de visiter ce lieu pour lequel, elle en convenait, elle n’avait jamais manifesté d’intérêt particulier. À sa descente du tramway, elle distingua à l’arrière d’une palissade grise, des drapeaux flottant avec force et conviction. Ici, les vents sont porteurs, songea-t-elle. Vingt-sept pavillons multicolores érigés tels des phares indiquant la voie à suivre pour ne pas s’échouer.

 

Enfin, elle le découvrit. Majestueux et imposant, le Parlement européen semblait l'appeler. Elle y entra sans savoir ce qui l’attendait mais avec la conviction que quelque chose s’y passerait. Exposées le long de coursives feutrées, des photographies de femmes et d’hommes dont la contribution avait posé les fondements de ce que l’on appelait alors encore la CEE. Robert Schuman, Louise Weiss…D’autres avaient repris le témoin sans jamais douter de leur engagement malgré les vicissitudes, les zones de turbulences. Toutes et tous avaient porté haut et loin la voix de l’Europe avec fierté. Simone Weil, Jacques Delors, dignes héritiers d’une filiation humaniste et engagée. Mais c’est en pénétrant dans l’hémicycle que son émotion fut la plus palpable. Ce fut alors la révélation. Entrée par les gradins supérieurs, elle surplombait l’arène, pour l’heure silencieuse. D’ici, elle avait une vision à 180 degrés sur l’Europe et sur sa souveraineté populaire. Et ça, ça change tout. Dans ce lieu nourri par notre mémoire collective, elle sentait l’âme de la démocratie originelle.

 

Ce n’était pas un hasard si, dans la Grèce antique, l’expression de la parole publique et libre s’exerçait dans un hémicycle. Les Grecs avaient compris que la forme de demi-cercle était la plus appropriée et la plus respectueuse pour accueillir le verbe, pour que naisse le débat et, in fine, que soit prise une décision collégiale. Symbole par excellence de cette parole affranchie, l’hémicycle incarnait alors les principes de participation et d'égalité parmi les citoyens, tout en jouant un rôle central dans le fonctionnement des institutions politiques de l'époque.

 

Depuis, tant d’eau avait coulé dans les méandres de l’Histoire ; tant de vent avait soufflé sur les cimes de la liberté. Mais, ici l’union des vocables « demos » (peuple) et « kratos » (pouvoir), traduisant l’idée de « gouvernement du peuple », n’avait jamais été aussi tangible. Plus que jamais, elle se sentait citoyenne de l’Europe. Et pour que ce petit monde puisse s’entendre, se comprendre, communiquer, débattre, voter, acter… on en appelait au talent et à la dextérité des interprètes qui, installées dans l’ombre de pièces vitrées face à l’assemblée, traduisaient qui du hongrois en italien, qui du roumain en slovaque, à moins que ce ne soit du maltais en espagnol, du bulgare en estonien, ou du grec en suédois.

 

À l’aune de toutes ces femmes et de tous ces hommes engagés dans le destin de notre cher vieux continent, comment pouvait-elle imaginer ne plus faire sa part ? « Souviens-toi de ce petit colibri », lui chuchotait une voix intérieure.

 

Le lendemain, tandis que flottaient encore autour d’elle ces effluves de démocratie perçues lors de sa visite du Parlement européen, les 9èmes Rencontres européennes de la participation citoyenne l’attendaient. Elle y avait sa place. Plus que jamais. Chaque intervention rappelait l'importance de l’engagement aussi infime soit-il. Elle réalisa que son implication faisait partie d'un mouvement autrement plus vaste. Une sorte d’effet papillon, où des actions, réalisées même de façon confidentielle, ont indéniablement des conséquences sur nos vies. La « res publica » populaire (au sens étymologique de venant du peuple) se construit en cheminant ensemble, chaque pas se posant aux côtés de ceux des autres. Cela lui rappelait l’engagement européen de cet écrivain humaniste qu’elle aimait tant, Stefan Zweig, pour qui l’Europe était avant tout une civilisation, des émotions partagées, un espace de débat et de respect mutuel. Bien avant d’être un territoire, notre vieux continent incarnait une idée de fraternité.

 

De retour chez elle, portée par l’énergie tellurique et spirituelle des lieux qu’elle avait quittés quelques heures plus tôt, nourrie par l’enthousiasme collectif de l’événement, elle comprit que cette quête de gouvernance, loin d’être une mission de tout repos, suivait un chemin semé d’embûches, de défis, où naissent cependant d’inspirantes réussites. Et c'est précisément ce qui la rendait si précieuse et si vivante.

 

Puissent les jeunes générations entendre la justesse des mots de l’anthropologue américaine et intellectuelle engagée Margaret Mead (1901-1978), « Ne doutez jamais qu'un petit groupe de citoyens réfléchis et engagés puisse changer le monde ; en fait, c'est la seule chose qui ait jamais fonctionné », et d’y ajouter la sagesse des propos du philosophe français Henri Bergson, « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons en faire ».

 

 

 

 

Marianne Bourgeois

Ecrit par une journée pleine de promesses

Avril 2025

 

 

 

 


29/04/2025
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Rien ne se vit en vain

 

 

Gracile, vulnérable, craintive, elle trottinait sur le macadam, à quelques mètres de ma porte d’entrée.

 

Doucement, je m’approchai d’elle. Au fur et à mesure que j’avançai, elle reculait. Elle ne paraissait pas effarouchée mais gardait ses distances. Je m’accroupis pour me mettre à sa hauteur, imaginant que ma grandeur devait l’intimider.

 

- Que fais-tu ici seule ? Tu sembles bien jeune.

 

Elle m’observait fixement puis détourna le regard. Elle conserva toutefois une pose de profil pour garder un œil sur moi au cas où. Elle ne semblait pas blessée. Un peu perdue. Je me relevais, rentrais chez moi, soucieuse d’abandonner sur le trottoir ce petit être vulnérable.


Quelques minutes plus tard, je décidai d’appeler la très utile Ligue pour la protection des oiseaux expliquant à mon interlocutrice qu’une jeune tourterelle faisait les 100 pattes devant chez moi, qu’elle n’était apparemment pas blessée. Mais voilà, elle n’avait pas l’intention de prendre son envol. Que faire ?

 

J’appris que la chose était assez commune chez les tourterelles. Souvent, après avoir pris assurance, embonpoint et plumes, les jeunes n’avaient qu’une idée en tête, partir explorer le vaste monde. Problème : ces têtes brûlées, si elles étaient suffisamment plumées, n’avaient pas encore la force nécessaire pour prendre leur envol. D’où ces atterrissages fortuits sur le macadam urbain.

 

- C’est simple. Il faut lui faire un nid artificiel qu’il faudra suspendre dans un arbre.


Oui, bien sûr. Comment n’y avais-je pas pensé. C’est d’une simplicité déconcertante. Faire un nid en ville et le suspendre suffisamment haut dans un arbre. Passe pour le nid, mais pour la mise en place en altitude ?

 

- Pour le nid, une boîte en carton suffit. Vous l’attachez à une ficelle et suspendez l’ensemble. Il faut surtout la protéger des prédateurs.

 

Mon interlocutrice m’apprit par ailleurs que les parents dudit volatile ne devaient pas être loin et qu’ils veillaient à distance sur leur progéniture. Il me fallait donc trouver un arbre à proximité du lieu où la jeune demoiselle se trouvait afin que ses parents puissent la retrouver. L’affaire se compliquait sérieusement.

Une idée me vint en regardant par la fenêtre de mon bureau situé au premier étage de la maison, juste au-dessus du volatile. Le rebord de la fenêtre était suffisamment large pour y accueillir un nid en carton pour ma jeune protégée. Ainsi, ses parents pourraient la repérer. Mais…

 

- Mais si elle ne peut pas encore voler, imaginez qu’elle fasse le saut de l’ange ?

 

On vint à bout de mon ignorance en m'expliquant qu’un oiseau, fut-il jeune, a la capacité de planer même s'il n'est pas encore en capacité de voler.

 

Ni une ni deux, je récupérai un carton dans lequel je déposai quelques pages de journal, un peu d’herbe séchée provenant de la tonte du jardin. L’âme légère et heureuse, j'installai avec solennité le carton sur le bord de la fenêtre prête à accueillir ma petite réfugiée.

 

Je sortis le sourire aux lèvres avec cette impatience qui nous anime lorsque nous nous apprêtons à vivre, et parfois à créer, un événement qui ait du sens.


Ma petite beauté avait disparu. Je la cherchai aux alentours, en vain. Avait-elle pris enfin son envol ? Je l'espérais.


L’air tristoune, je rentrai chez moi, ôtai le carton du rebord de la fenêtre, m’apprêtai à le mettre au rebut, quand ma chatte s’approcha du carton et décida d’y élire domicile.

 

Rien ne se vit en vain. Rien ne se réalise en vain.

 

 

 

 


15/10/2024
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Bonjour ma reniflette

 

 

Celles et ceux qui ont la gentillesse de me suivre savent que j'ai eu le privilège et l'immense plaisir de rédiger la biographie du peintre Jean Dufy (1888-1964).

 

Avant d'écrire, il y a un exercice incontournable et fastidieux, celui de la lecture des archives.


J'ai eu la chance de pouvoir accéder à d'innombrables lettres professionnelles, familiales et...conjugales.

Lily et Jean Dufy s'écrivaient beaucoup lorsque Lily était à Bussière-Poitevine (Poitou) dans les années 20, ou, plus tard, dans sa Touraine natale et que son Jean était à Paris dans son atelier à Montmartre.


Récemment, je me suis de nouveau plongée avec délectation dans ces archives conjugales.

 

Certaines lettres sont écrites avec sel, sur un ton primesautier, léger, badin. Parfois énigmatiques. Comme s'il s'agissait de messages codés.

 

Mais n'est-ce pas là l'essence même de la correspondance amoureuse ?

N'être intelligible que par les seules personnes concernées ?

 

"Paris, le 10 septembre 1925. De Jean Dufy à Madame Jean Dufy, Bussière-Poitevine

 

Bonjour ma reniflette

 

Moi aussi

Pan Pan à cucu

Sécotine

Melle. Capou

Robert

 

Moi aussi

Mille baisers

Jean Dufy

 

 

Ah ! Fi ! Fi ! Fi ! Fi !

Madame Dufy

Revenez-nous vite

On prendra la...cuite

Et...cela suffit...
Moi aussi

 

G. Capon (qui rime à...) Moi aussi"


09/09/2024
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