Sous la plume de Marianne

Sous la plume de Marianne

Sous la plume de Marianne, il y a...


A l'ombre d'un doute

 

 

Elle imaginait un monde où chacun deviendrait un super-héros, doté non de super-pouvoirs, mais d’inspiration et d’actes. Portée par une confiance inébranlable, elle croyait fermement à la participation citoyenne et à ses promesses : démonolithiser le quant-à-soi, relier les esprits pour transformer notre monde. Quel défi ! Même si ce dernier pouvait paraître inconscient et prétentieux aux yeux de certains.

 

Ecrivain biographe, elle se plaisait tout autant à écouter des histoires qu’à raconter celles des autres. Journaliste, elle aimait les mots. Certains d’entre eux résonnaient en elle en mode majeur et lui semblaient inaliénables. Ainsi, « démocratie » et « engagement » qu’elle tentait d’incarner de son mieux dans un monde aspiré dans un vortex d’agitation stérile. On avait beau lui répéter qu’elle se berçait d’illusions, qu’elle rêvait à haute voix, qu’il lui fallait accepter ce monde tel qu’il était, dépenaillé de plus en plus de son humanité, elle répondait à cela qu’elle continuerait de croire sans faillir à l’émouvante légende du colibri, rendue célèbre par l’humaniste Pierre Rabhi ; vous savez, ce petit oiseau qui apporte en son bec une minuscule goutte d’eau afin d’éteindre un vaste incendie dans la forêt. Faire sa part, voilà ce qu’elle avait à cœur d’entreprendre sur cette planète « bleue comme une orange », comme l’écrivait si joliment le poète Paul Eluard, et qu’importe les Cassandre qu’elle rencontrerait en route.

 

Pourtant, le chemin de l’engagement est loin d’être un long fleuve tranquille. Elle le savait. Il est même une voie qui, dans quelques occasions, peut nous rendre prétentieux. Rattrapés par notre ego, nous voici à penser que nous avons le pouvoir de changer le monde, d’engager une révolution douce mais durable, révolution dont, bien sûr, nous serions un acteur, voire l’un de ses héros. Quelle fatuité !

 

Lorsque ce n’est pas notre ego qui se complaît à nous raconter de belles histoires, ce sont les sceptiques qui se découvrent au détour d’une conversation engagée sur les vertus du désengagement. Ces mêmes sceptiques qui l’invitent, dans un élan de fausse commisération, à renoncer à ses aspirations et à accepter le monde tel qu’il est. Bref, à se résigner. Dans ces moments-là, elle ferme les écoutilles. Quoi qu’il arrive, ne pas céder, continuer à faire sa part.

 

Sa part, c’était d’avoir rejoint le Conseil de développement d’Angers où elle vivait depuis quelques années. Membre assidue et engagée, elle consacrait de nombreuses heures à des réunions parfois interminables, dont elle ressortait en se demandant si quelque chose de concret en résulterait un jour. Elle réfléchissait et imaginait d’autres possibles, formalisés dans des rapports remis aux élus. Parfois, elle se demandait ce que deviendraient ces pages de réflexions étayées. Viendraient-elles s’ajouter à d’autres empilées, cernant le bureau des édiles telle une citadelle imprenable ? Ou peut-être aideraient-elles à caler une porte ? Ou, encore, le rapport « changement climatique, solutions et propositions » servirait-il d’éventail les jours de grandes chaleurs…

 

Oui, parfois le doute s’immisçait. Toutes ces heures passées à construire des « lendemains qui chantent » valaient-elles vraiment la peine ? Puis, un jour, ce doute commença son œuvre, enfonçant lentement son dard pernicieux dans son esprit. Sa décision était prise. Elle quitterait le Conseil de développement. Dans ce goût d’inachevé qu’elle ressentait comme un échec qui ne disait pas son nom, il y avait aussi un autre goût, celui de l’amertume, de la désillusion...

 

Une décision est une chose. Ce qu’en fait la vie en est une autre. Souvent bien différente. Quelques jours plus tard, une opportunité inattendue se présenta. On lui proposait de participer aux 9èmes Rencontres européennes de la participation citoyenne. L’événement se déroulait au cœur du sérail de la démocratie européenne : Strasbourg. Curieusement, alors que les choses étaient claires quant à son désengagement local, elle répondit sans l’once d’une hésitation qu’elle prendrait part à cette manifestation.

 

À son arrivée dans la capitale alsacienne, elle fut saisie par une étrange sensation. Il y avait dans cette ville une énergie particulière ; de celles qui nous portent, nous élèvent. Il lui fut proposé de découvrir le Parlement Européen. De la même façon qu’il lui avait semblé évident de rejoindre Strasbourg pour participer audit événement, il lui semblait incontournable de visiter ce lieu pour lequel, elle en convenait, elle n’avait jamais manifesté d’intérêt particulier. À sa descente du tramway, elle distingua à l’arrière d’une palissade grise, des drapeaux flottant avec force et conviction. Ici, les vents sont porteurs, songea-t-elle. Vingt-sept pavillons multicolores érigés tels des phares indiquant la voie à suivre pour ne pas s’échouer.

 

Enfin, elle le découvrit. Majestueux et imposant, le Parlement européen semblait l'appeler. Elle y entra sans savoir ce qui l’attendait mais avec la conviction que quelque chose s’y passerait. Exposées le long de coursives feutrées, des photographies de femmes et d’hommes dont la contribution avait posé les fondements de ce que l’on appelait alors encore la CEE. Robert Schuman, Louise Weiss…D’autres avaient repris le témoin sans jamais douter de leur engagement malgré les vicissitudes, les zones de turbulences. Toutes et tous avaient porté haut et loin la voix de l’Europe avec fierté. Simone Weil, Jacques Delors, dignes héritiers d’une filiation humaniste et engagée. Mais c’est en pénétrant dans l’hémicycle que son émotion fut la plus palpable. Ce fut alors la révélation. Entrée par les gradins supérieurs, elle surplombait l’arène, pour l’heure silencieuse. D’ici, elle avait une vision à 180 degrés sur l’Europe et sur sa souveraineté populaire. Et ça, ça change tout. Dans ce lieu nourri par notre mémoire collective, elle sentait l’âme de la démocratie originelle.

 

Ce n’était pas un hasard si, dans la Grèce antique, l’expression de la parole publique et libre s’exerçait dans un hémicycle. Les Grecs avaient compris que la forme de demi-cercle était la plus appropriée et la plus respectueuse pour accueillir le verbe, pour que naisse le débat et, in fine, que soit prise une décision collégiale. Symbole par excellence de cette parole affranchie, l’hémicycle incarnait alors les principes de participation et d'égalité parmi les citoyens, tout en jouant un rôle central dans le fonctionnement des institutions politiques de l'époque.

 

Depuis, tant d’eau avait coulé dans les méandres de l’Histoire ; tant de vent avait soufflé sur les cimes de la liberté. Mais, ici l’union des vocables « demos » (peuple) et « kratos » (pouvoir), traduisant l’idée de « gouvernement du peuple », n’avait jamais été aussi tangible. Plus que jamais, elle se sentait citoyenne de l’Europe. Et pour que ce petit monde puisse s’entendre, se comprendre, communiquer, débattre, voter, acter… on en appelait au talent et à la dextérité des interprètes qui, installées dans l’ombre de pièces vitrées face à l’assemblée, traduisaient qui du hongrois en italien, qui du roumain en slovaque, à moins que ce ne soit du maltais en espagnol, du bulgare en estonien, ou du grec en suédois.

 

À l’aune de toutes ces femmes et de tous ces hommes engagés dans le destin de notre cher vieux continent, comment pouvait-elle imaginer ne plus faire sa part ? « Souviens-toi de ce petit colibri », lui chuchotait une voix intérieure.

 

Le lendemain, tandis que flottaient encore autour d’elle ces effluves de démocratie perçues lors de sa visite du Parlement européen, les 9èmes Rencontres européennes de la participation citoyenne l’attendaient. Elle y avait sa place. Plus que jamais. Chaque intervention rappelait l'importance de l’engagement aussi infime soit-il. Elle réalisa que son implication faisait partie d'un mouvement autrement plus vaste. Une sorte d’effet papillon, où des actions, réalisées même de façon confidentielle, ont indéniablement des conséquences sur nos vies. La « res publica » populaire (au sens étymologique de venant du peuple) se construit en cheminant ensemble, chaque pas se posant aux côtés de ceux des autres. Cela lui rappelait l’engagement européen de cet écrivain humaniste qu’elle aimait tant, Stefan Zweig, pour qui l’Europe était avant tout une civilisation, des émotions partagées, un espace de débat et de respect mutuel. Bien avant d’être un territoire, notre vieux continent incarnait une idée de fraternité.

 

De retour chez elle, portée par l’énergie tellurique et spirituelle des lieux qu’elle avait quittés quelques heures plus tôt, nourrie par l’enthousiasme collectif de l’événement, elle comprit que cette quête de gouvernance, loin d’être une mission de tout repos, suivait un chemin semé d’embûches, de défis, où naissent cependant d’inspirantes réussites. Et c'est précisément ce qui la rendait si précieuse et si vivante.

 

Puissent les jeunes générations entendre la justesse des mots de l’anthropologue américaine et intellectuelle engagée Margaret Mead (1901-1978), « Ne doutez jamais qu'un petit groupe de citoyens réfléchis et engagés puisse changer le monde ; en fait, c'est la seule chose qui ait jamais fonctionné », et d’y ajouter la sagesse des propos du philosophe français Henri Bergson, « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons en faire ».

 

 

 

 

Marianne Bourgeois

Ecrit par une journée pleine de promesses

Avril 2025

 

 

 

 


29/04/2025
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Rien ne se vit en vain

 

 

Gracile, vulnérable, craintive, elle trottinait sur le macadam, à quelques mètres de ma porte d’entrée.

 

Doucement, je m’approchai d’elle. Au fur et à mesure que j’avançai, elle reculait. Elle ne paraissait pas effarouchée mais gardait ses distances. Je m’accroupis pour me mettre à sa hauteur, imaginant que ma grandeur devait l’intimider.

 

- Que fais-tu ici seule ? Tu sembles bien jeune.

 

Elle m’observait fixement puis détourna le regard. Elle conserva toutefois une pose de profil pour garder un œil sur moi au cas où. Elle ne semblait pas blessée. Un peu perdue. Je me relevais, rentrais chez moi, soucieuse d’abandonner sur le trottoir ce petit être vulnérable.


Quelques minutes plus tard, je décidai d’appeler la très utile Ligue pour la protection des oiseaux expliquant à mon interlocutrice qu’une jeune tourterelle faisait les 100 pattes devant chez moi, qu’elle n’était apparemment pas blessée. Mais voilà, elle n’avait pas l’intention de prendre son envol. Que faire ?

 

J’appris que la chose était assez commune chez les tourterelles. Souvent, après avoir pris assurance, embonpoint et plumes, les jeunes n’avaient qu’une idée en tête, partir explorer le vaste monde. Problème : ces têtes brûlées, si elles étaient suffisamment plumées, n’avaient pas encore la force nécessaire pour prendre leur envol. D’où ces atterrissages fortuits sur le macadam urbain.

 

- C’est simple. Il faut lui faire un nid artificiel qu’il faudra suspendre dans un arbre.


Oui, bien sûr. Comment n’y avais-je pas pensé. C’est d’une simplicité déconcertante. Faire un nid en ville et le suspendre suffisamment haut dans un arbre. Passe pour le nid, mais pour la mise en place en altitude ?

 

- Pour le nid, une boîte en carton suffit. Vous l’attachez à une ficelle et suspendez l’ensemble. Il faut surtout la protéger des prédateurs.

 

Mon interlocutrice m’apprit par ailleurs que les parents dudit volatile ne devaient pas être loin et qu’ils veillaient à distance sur leur progéniture. Il me fallait donc trouver un arbre à proximité du lieu où la jeune demoiselle se trouvait afin que ses parents puissent la retrouver. L’affaire se compliquait sérieusement.

Une idée me vint en regardant par la fenêtre de mon bureau situé au premier étage de la maison, juste au-dessus du volatile. Le rebord de la fenêtre était suffisamment large pour y accueillir un nid en carton pour ma jeune protégée. Ainsi, ses parents pourraient la repérer. Mais…

 

- Mais si elle ne peut pas encore voler, imaginez qu’elle fasse le saut de l’ange ?

 

On vint à bout de mon ignorance en m'expliquant qu’un oiseau, fut-il jeune, a la capacité de planer même s'il n'est pas encore en capacité de voler.

 

Ni une ni deux, je récupérai un carton dans lequel je déposai quelques pages de journal, un peu d’herbe séchée provenant de la tonte du jardin. L’âme légère et heureuse, j'installai avec solennité le carton sur le bord de la fenêtre prête à accueillir ma petite réfugiée.

 

Je sortis le sourire aux lèvres avec cette impatience qui nous anime lorsque nous nous apprêtons à vivre, et parfois à créer, un événement qui ait du sens.


Ma petite beauté avait disparu. Je la cherchai aux alentours, en vain. Avait-elle pris enfin son envol ? Je l'espérais.


L’air tristoune, je rentrai chez moi, ôtai le carton du rebord de la fenêtre, m’apprêtai à le mettre au rebut, quand ma chatte s’approcha du carton et décida d’y élire domicile.

 

Rien ne se vit en vain. Rien ne se réalise en vain.

 

 

 

 


15/10/2024
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Bonjour ma reniflette

 

 

Celles et ceux qui ont la gentillesse de me suivre savent que j'ai eu le privilège et l'immense plaisir de rédiger la biographie du peintre Jean Dufy (1888-1964).

 

Avant d'écrire, il y a un exercice incontournable et fastidieux, celui de la lecture des archives.


J'ai eu la chance de pouvoir accéder à d'innombrables lettres professionnelles, familiales et...conjugales.

Lily et Jean Dufy s'écrivaient beaucoup lorsque Lily était à Bussière-Poitevine (Poitou) dans les années 20, ou, plus tard, dans sa Touraine natale et que son Jean était à Paris dans son atelier à Montmartre.


Récemment, je me suis de nouveau plongée avec délectation dans ces archives conjugales.

 

Certaines lettres sont écrites avec sel, sur un ton primesautier, léger, badin. Parfois énigmatiques. Comme s'il s'agissait de messages codés.

 

Mais n'est-ce pas là l'essence même de la correspondance amoureuse ?

N'être intelligible que par les seules personnes concernées ?

 

"Paris, le 10 septembre 1925. De Jean Dufy à Madame Jean Dufy, Bussière-Poitevine

 

Bonjour ma reniflette

 

Moi aussi

Pan Pan à cucu

Sécotine

Melle. Capou

Robert

 

Moi aussi

Mille baisers

Jean Dufy

 

 

Ah ! Fi ! Fi ! Fi ! Fi !

Madame Dufy

Revenez-nous vite

On prendra la...cuite

Et...cela suffit...
Moi aussi

 

G. Capon (qui rime à...) Moi aussi"


09/09/2024
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Merveille des merveilles, le Cantique des Cantiques

 

 

...Isaac, assis à un coin de table de la cuisine, était absorbé par la lecture du « Cantique des Cantiques » dont lui avait parlé Sœur Iris lorsqu’il était retourné la voir.

 

Pour aiguiser sa curiosité, la religieuse lui avait expliqué que le « Cantique des Cantiques », appelé également « Cantique de Salomon », était l’un des livres de la Bible les plus poétiques.

 

Isaac avait appris que ce poème écrit entre le 7ème et le 8ème siècle avant J.C, avait ensuite été intégré à la Bible dans les premiers siècles de notre ère.

 

Iris lui avait expliqué que cet échange amoureux entre une femme et un homme sous la forme de 117 vers attribués à Salomon, mâtiné de sensualité et de passion au gré de symboles et métaphores, avait nourri les commentaires des plus grands exégètes au cours des siècles.

- Au-delà des différentes interprétations religieuses et philosophiques, ce poème exalte l’amour.

 

Mais le plus inattendu restait à apprendre. Cette ode à l’amour avait été décortiquée par Jean-Paul II.  

- Imaginez-vous Isaac notre Saint-Père lire ces quelques vers « Qu'il me baise des baisers de sa bouche ! Car ton amour vaut mieux que le vin »…. « Tes parfums ont une odeur suave ; ton nom est un parfum qui se répand; c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment...Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe, Qui repose entre mes seins….  Que tu es belle, mon amie, que tu es belle! Tes yeux sont des colombes...

 

 

 

 

 

Extrait d'Afro d'Isaac

Jeanne Bunel, 2019

Edition "La Botellerie"


03/09/2024
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Rouge passion

 

 

Doucement, la ville s'enveloppe dans la nuit.
Le bruit s'en va trouver le repos.
Par-delà les toits, le ciel incandescent s'enflamme,

Illuminant d'un rouge passion un baiser sur ses lèvres déposées.

 

 

 

 


Marianne B.


06/12/2023
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