Sous la plume de Marianne

Sous la plume de Marianne

Christian Bobin


Légèreté des instants

 

 

 

La légèreté, elle est partout, dans l’insolente fraîcheur des pluies d’été, sur les ailes d’un livre abandonné au bas d’un lit, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré, dans la rumeur des cloches d’un monastère à l’heure des offices, comme on mâche un brin d’herbe, dans la fée d’une lumière au détour d’un virage sur les routes serpentine du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets le soir, dans une fine touche de bleu, bleu pale, bleu-violet, dans la douceur d’ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l’instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant au sol et dans la maladresse d’un chien glissant sur un étang gelé, j’arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.

 

 

 

Christian Bobin

1951-2022

Ecrivain, poète

Extrait "La folle allure"

 

 


13/06/2025
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Lire l'autre

 

Aimer quelqu’un, c’est le lire. C’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en lisant le délivrer. C’est déplier son cœur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère. Il y a plus de texte écrit sur un visage que dans un volume de la Pléiade et, quand je regarde un visage, j’essaie de tout lire, même les notes en bas de page.

 

Je pénètre dans les visages comme on s’enfonce dans un brouillard, jusqu’à ce que le paysage s’éclaire dans ses moindres détails. Nos propres actes nous restent indéchiffrables. C’est peut-être pourquoi les enfants aiment tant qu’on leur raconte sans fin tel épisode de leur enfance. Lire ainsi l’autre, c’est favoriser sa respiration, c’est-à-dire le faire exister. Peut-être que les fous sont des gens que personne n’a jamais lus, rendus furieux de contenir des phrases qu’aucun regard n’a jamais parcourues. Ils sont comme des livres fermés.

 

Une mère lit dans les yeux de son enfant avant même qu’il sache s’exprimer. Il suffit d’avoir été regardé par un nouveau-né pour savoir que le petit d’homme sait tout de suite lire. Il est même comme les grands lecteurs : il dévore le visage de l’autre. On lit en quelqu’un comme dans un livre, et ce livre s’éclaire d’être lu et vient nous éclairer en retour, comme ce que fait pour un lecteur une très belle page d’un livre rare.

 

Quand un livre n’est pas lu, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Ce qui peut se passer de plus terrible entre deux personnes qui s’aiment, c’est que l’une des deux pense qu’elle a tout lu de l’autre et s’éloigne, d’autant qu’en lisant on écrit, mais d’une manière très mystérieuse, et que le cœur de l’autre est un livre qui s’écrit au fur et à mesure et dont les phrases peuvent s’enrichir avec le temps. Le cœur n’est achevé et fait que quand il est fracturé par la mort. Jusqu’au dernier moment le contenu du livre peut être changé. On n’a pas la pleine lecture de ce qu’on lit tant que l’autre est vivant.

 

Dieu serait le seul lecteur parfait, celui qui donne à cette lecture tout son sens. Mais la plupart du temps, la lecture de l’autre reste très superficielle et on ne se parle pas vraiment. Peut-être que chacun de nous est comme une maison avec beaucoup de fenêtres. On peut appeler de l’extérieur et une fenêtre ou deux vont s’éclairer mais pas toutes. Et parfois, exceptionnellement, on va frapper partout et ça va s’éclairer partout, mais ça, c’est extrêmement rare. Quand la vérité éclaire partout, c’est l’amour.

 

 

 

Christian Bobin

1951-2022

Écrivain, poète

Extrait : "La lumière du monde" - Gallimard


06/06/2025
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Les poèmes du boulanger, ce sont ses pains

 

 

Dans cette lutte incessante que constitue le monde dit moderne, les contemplatifs sont les guerriers les plus résistants. Ce sont eux peut-être qui pourront nous tirer d’affaire. Il faut juste que chacun se remette à faire ce qu’il a à faire de la façon la plus simple. Les poèmes du boulanger, ce sont ses pains.

 

 

 

 

 

Christian Bobin

1951-2022

Écrivain, poète

Extrait de : « Le Plâtrier siffleur »

 


27/05/2025
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Susciter un sourire

 

 

 

Je crois que c’est ça la plus grande aventure. Le plus bel exploit humain, c’est de susciter la naissance d’un vrai sourire sur les lèvres de quelqu’un qui vous fait face : ce sourire c’est le portail qui s’ouvre.

 

 

 

Christian Bobin

1951-2022

Ecrivain, poète

Entretien sur France culture

 


24/05/2025
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Prouver vs accueillir

 

 

...D'ailleurs une existence, fût-ce celle de Dieu, ne se "prouve" pas.

Elle s'accueille ou se rejette et ce n'est pas la même chose ni le même langage.

Prouver est un désir de savant ou de policier. Accueillir est un désir d'amoureux. Mozart ne prouve rien. Il simplifie.

 

 

 

 

 

Christian Bobin

1950-2022

Ecrivain, poète

Extrait de "Autoportrait au radiateur" (1997)


12/05/2025
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