Lettres et correspondances
Juliette et Victor
En 1833 Victor Hugo (1802-1885) assiste à la représentation de Lucrèce Borgia. Une comédienne, Juliette Drouet (1806-1883) joue la princesse Negroni. Hugo en tombe fou amoureux.
« Je mesure la chance d’avoir rencontré cette femme », dira Hugo à l’un de ses proches amis, se faisant le serment de ne jamais abandonner celle qu’il aime par-dessus tout.
Victor Hugo et Juliette Drouet s’écrivirent des lettres enflammées, témoins de leur tendresse, de leur admiration, de leur fidélité, mais aussi, au-delà de cet amour, de tout ce qu’ils partageaient en commun.
Les cinquante ans de leur incroyable passion sont contenus dans quelque 20.000 lettres qu’ils se sont échangées, et figurent un trésor pour la littérature, qui a gardé ainsi l’empreinte de cet amour légendaire.
Lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet, le 16 février 1860
La vie avance, l’amour persiste. Il y a un Éden derrière nous, et un paradis devant nous. Car pour ceux qui se sont aimés dans la vie et qui entrent dans la mort en s’aimant, la tombe est étoilée ; c’est la porte du ciel. Que Dieu me donne la vie avec toi et la mort avec toi, voilà ce que je lui demande dans ma prière de tous les soirs. L’amour vieilli est de l’amour religieux ; il y a de la prière dans son baiser.
Cher doux ange, vieillissons donc avec joie, car le grand rajeunissement est proche. Il s’appelle l’éternité. L’amour dans l’éternité, quelle aurore ! Aimons-nous et prions.
Lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet, 27 septembre 1876
J’étais mort, je suis vivant, tu es le sang de mon cœur, la clarté de mes yeux, la vie de ma vie, l’âme de mon âme.
Pour moi, tu es plus moi que moi-même. Je suis à jamais dans tes ailes.
Je t’adore éperdument et religieusement, ô mon ange.
Guillaume à Lou
Extrait d'une lettre de Guillaume Apollinaire à Lou, septembre 1914
"Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir, j’éprouve maintenant moins de gêne à vous l’écrire. Je l’avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussi tôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient. "
Puis le 28 octobre 1914
"Je pense à toi sans cesse. Rapporte aussi tes lettres à Nice que je les relise, dans les entractes que l’amour voudra bien nous laisser les plus courts possible"
En 1914, le poète Guillaume Apollinaire fait la connaissance de Louise de Coligny Chatillon dans un restaurant à Nice. En quelques secondes c'est le coup de foudre... Dès lors, Apollinaire lui écrira des centaines de lettres.
A cette époque la jeune femme a 33 ans. Très indépendante, elle fascine le poète qui lui déclare rapidement toute son admiration.
C'est le début d'une passion aussi intense qu'éphémère...
Lorsque l'auteur d'Alcools est tombé amoureux de son "étoile polaire"...
"Mon Lou je veux te parler maintenant de l’Amour
Il monte dans mon cœur comme le soleil sur le jour
Et le soleil il agite ses rayons comme des fouets
Pour activer nos âmes et les lier
Mon amour c’est seulement ton bonheur
Et ton bonheur c’est seulement ma volonté
Ton amour doit être passionné de douleur
Ma volonté se confond avec ton désir et ta beauté
Ah ! Ah ! te revoilà devant moi toute nue
Captive adorée toi la dernière venue
Tes seins ont le goût pâle des kakis et des figues de Barbarie Hanches fruits confis je les aime ma chérie
L’écume de la mer dont naquis la déesse
Evoque celle-là qui naît de ma caresse
Si tu marches Splendeur tes yeux ont le luisant
D’un sabre au doux regard prêt à se teindre de sang
Si tu te couches Douceur tu deviens mon orgie
Et le mets savoureux de notre liturgie
Si tu courbes Ardeur comme une flamme au vent
Des atteintes du feu jamais rien n’est décevant
Je flambe dans ta flamme et suis de ton amour
Le phénix qui se meurt et renaît chaque jour".
Vous êtes la première femme que j'aime
Le 22 mai 1908 naissait le maître des chimères, Gérard de Nerval. En 1837, le poète participe à la création, à l'Opéra-Comique, de Piquillo. L'actrice et chanteuse lyrique Jenny Colon y tient le premier rôle ; le jeune homme s'éprend aussitôt de la comédienne.
Extrait lettre de Lettre de Gérard de Nerval à Jenny Colon :
« Vous êtes la première femme que j’aime et je suis peut-être le premier homme qui vous aime à ce point. Si ce n’est pas là une sorte d’hymen que le ciel bénisse, le mot amour n’est qu’un vain mot ! »
A bientôt ma superbe
Juste pour te dire que j'arrive mardi par la route, remontant avec les Gallimard lundi.
Je te téléphonerai à mon arrivée, mais on pourrait peut-être convenir déjà de dîner ensemble mardi. Disons en principe, pour faire la part des hasards de la route et je te confirmerai le dîner au téléphone.
Je t'envoie déjà une cargaison de tendres voeux et que la vie rejaillisse en toi pendant toute l'année te donnant le cher visage que j'aime depuis tant d'années (mais j'aime le soucieux aussi, et de toutes les manières). Je plie ton imperméable dans l'enveloppe et j'y joins tous les soleils du coeur.
A bientôt ma superbe. Je suis si content à l'idée de te revoir que je ris en t'écrivant.
J'ai fermé mes dossiers et ne travaille plus (trop de famille et trop d'amis de la famille).
Je n'ai donc plus de raisons de me priver de ton rire et de nos soirées, ni de ma patrie.
Je t'embrasse. Je te serre contre moi jusqu'à mardi où je recommencerai.
30 décembre 1959
Ce que vous venez de lire est l'ultime lettre d'Albert Camus à son grand amour, la comédienne Maria Casarès. Impossible de la lire sans avoir le cœur serré. « Dernière lettre », écrit l'écrivain d'une façon prémonitoire. Installé dans sa maison de Lourmarin dans le Vaucluse depuis le mois de novembre 1959, il dit à sa maîtresse qu'il rentrera finalement « par la route » le lundi 4 janvier. Albert Camus n'est jamais arrivé à Paris. Il est mort, tué sur le coup, dans un accident de la route lorsque la Facel Vega de Michel Gallimard s'est écrasée violemment contre un platane au sud de Fontainebleau. Maria Casarès est morte en novembre 1996 à l'âge de 74 ans. 865 lettres, cartes et télégrammes que les amants secrets se sont échangés pendant douze ans forment un sublime roman d’amour de ce temps.
« Correspondance (1944-1959)» , Albert Camus et Maria Casarès, éd. de Béatrice Vaillant, avant-propos de Catherine Camus, éd. Gallimard,
Mercredi 1er juin 1949
Attends-moi comme je t'attends.
Vis, sois éclatante et curieuse,
Recherche ce qui est beau,
Lis ce que tu aimes,
Et quand la pause viendra,
Tourne-toi vers moi qui serai toujours tourné vers toi.
Albert Camus
Ecrivain, romancier
1913-1960
Lettre d'Albert Camus à Maria Casarès
Correspondance, 1944-1959 Albert Camus – Maria Casarès, Gallimard, 2017