Je suis devant ce paysage féminin
Comme un enfant devant le feu
Souriant vaguement et les larmes aux yeux
Devant ce paysage où tout remue en moi
Où des miroirs s’embuent où des miroirs s’éclairent
Reflétant deux corps nus saison contre saison
J’ai tant de raisons de me perdre
Sur cette terre sans chemins et sous ce ciel sans horizon
Belles raisons que j’ignorais hier
Et que je n’oublierai jamais
Belles clés des regards clés filles d’elles-mêmes
Devant ce paysage où la nature est mienne
Devant le feu le premier feu
Bonne raison maîtresse
Étoile identifiée
Et sur la terre et sous le ciel hors de mon cœur et dans mon cœur
Second bourgeon première feuille verte
Que la mer couvre de ses ailes
Et le soleil au bout de tout venant de nous
Je suis devant ce paysage féminin
Comme une branche dans le feu.
Paul Eluard
1895-1952
Ecrivain
NB : Dans ce poème mystique, quelque peu obscur, le corps féminin est paysage. Les quatre éléments sont convoqués pour remplacer les organes du corps féminin, qui s'en retrouve sacralisé. Une façon, peut-être, de rendre hommage à la bien-aimée qu'Eluard vient de perdre dans les vapeurs de la mort.