Les mots "agglutinés"
Quel est le point commun entre les noms « dinde », « tante » et « nombril » ?
À première vue, aucun. Et pourtant, au fil du temps, tous ont gagné une lettre, généralement issue du mot précédent. Étonnant, d'autant qu’on ne saurait le soupçonner.
Les mots agglutinés sont des termes issus de la fusion de deux mots ou éléments, souvent par l'ajout d'une préposition ou d'un article, qui se soudent pour former un seul mot. Ce phénomène linguistique permet de créer des mots nouveaux en combinant des éléments existants, souvent issus de l'ancien français ou du latin, avec une évolution phonétique et orthographique au fil du temps.
Voici huit mots formés par « agglutination », que l’on dit également « agglutinés » :
ALAISE : LA + LAISE
Vous connaissez l’alaise, cette protection en tissu imperméable que l’on place sur le matelas pour le protéger. Mais savez-vous que ce mot est formé à partir d’une agglutination ? Celle de l’article « la » et du nom « laize » (ou « laise »), qui signifie « largeur » (du latin latus).
Dans « la laise », le « a » de l’article défini « la » est passé en tête du nom « laise », laissant place à l’article élidé « l’ », ce qui a donné… « l’alaise » et ce, dès l’ancien français.
➡️ Il existe une variante orthographique de ce nom : « alèse ».
DINDE : D’ + INDE
Avant, pour nommer cet oiseau domestique originaire du Mexique (dans les Indes occidentales), on disait un « coq d’Inde » pour le mâle, une « poule d’Inde » pour la femelle, des « poulets d’Inde » pour leurs petits.
Par la suite, ces mots sont devenus familiers et, certainement pour gagner du temps, on a supprimé les noms « coq », « poule » et « poulet », tout en agglutinant la préposition « d’ » au nom « Inde », ce qui a donné « dinde », celle-là même que l’on mange à Noël ou à Thanksgiving au pays de l'Oncle Sam.
➡️ Sur « dinde » ont été formés « dindon » et son diminutif « dindonneau ».
DUPE : D’ + HUPPE
Au commencement de cette histoire de dupe, l’oiseau nommé « huppe » (du latin (h)upupa) qui, dans l’esprit populaire, passait pour être niais, stupide.
Était-ce uniquement en raison de son aspect ? Se laissait-il facilement avoir, attraper par des leurres ? Toujours est-il qu’on a transposé le nom de l’oiseau à une personne que l’on trompe sans qu’elle en ait le moindre soupçon. Voilà pour le glissement de sens.
Et pour la formation du mot ? Dans l’Ouest de la France, notamment, on utilisait le nom comme complément dans des expressions : « … de huppe ». La formule « de huppe » s’est agglutinée en « d’huppe », puis en « duppe », et enfin en « dupe » pour désigner une personne facile à tromper, autrement dit… un pigeon (autres volatile...).
➡️ Le nom « dupe » est toujours féminin, même pour désigner un homme (Il a été la dupe d’un associé indélicat).
➡️La huppe désigne aussi la touffe de plumes que certains oiseaux ont sur la tête. « Huppé(e) » et « houppette » sont de la même famille.
LIERRE : L’ + IERRE
À l’origine du nom lierre, le latin hedera. Entre le 10ème et le 13ème siècle, hedera est devenu, en français, edre, ierre puis hyerre.
Comment est-on arrivé au « lierre », cette plante « sempervirente » (c’est-à-dire toujours verte), rampante ou grimpante ?
Par agglutination de l’article élidé : « L’ierre » ou « l’hyerre » est devenu « lierre », et il a fallu ajouter un nouvel article « le » pour le définir, puisque le premier avait été englouti dans le mot.
NOMBRIL : N + OMBRIL
Cette agglutination ne date pas d’hier, puisque l’on écrivait déjà nombril en ancien français et nomblil en moyen français. Nomblil… Le mot fait penser à « ombilic », n'est-ce pas ?
Et pour cause : c’est bien sur « ombilic » (du latin umbilicus) que l’on a formé « ombril ». D’ailleurs, « ombilic » n’est autre que le nom savant de « nombril ».
Mais comment est-on passé de « ombril » à « nombril » ? À force de dire « un ombril » en faisant la liaison entre le « n » de l’article indéfini « un » et le « o » de « ombril », on a fini par conformer la graphie à la prononciation en écrivant : « un nombril ». Voilà comment est né notre « nombril », cette cicatrice présente au centre de notre ventre (et de celui des mammifères) à l’endroit où le « cordon ombilical » a été sectionné.
TANTE : T + ANTE
À l’origine de ce nom, le latin amita, lequel a donné « ante » en français (et peut-être également donné le mot anglais "aunt" qui signifie "tante"). Un « t » dans amita, que l’on retrouve dans « ante » : le compte est bon. Mais alors, d’où vient le « t » initial ?
Vraisemblablement d’une liaison, celle de « grand’ante », qui se prononçait « gran-t-ante ». Le « t » sonore de « grant » a fini par changer d’hôte, pour se retrouver à la tête de « ante », donnant… « tante ». Le célèbre lexicographe du 19ème siècle, Émile Littré, ne se montre pas tendre avec la formation de ce mot, qu’il qualifie de « monstruosité linguistique ». Pourtant, plus personne ne s’en émeut aujourd’hui…
➡️ Il existe un adjectif signifiant « qui appartient, qui a rapport à l’oncle ou à la tante », il s’agit du mot « avunculaire » (que l’on prononce [avonculaire]).
Et les noms de ville ? LILLE : L’ + ÎLE
En ancien français, « Lille » s’écrivait « L’isle » ! C’est cette graphie qui est attestée dans les archives dès le 11ème siècle. Or, « isle » est l’ancienne graphie de « île ».
Pourtant, Lille n’est pas une île. Et pourtant si… enfin presque ! Par le passé, le territoire que la ville occupait à cette époque était entouré de zones très humides et marécageuses, ce qui a conduit à l’installation de canaux et de ponts (d’où la rue des Ponts-de-Comines).
LORIENT : L’ + ORIENT
Comme Lille, Lorient est le fruit d’une agglutination de l’article élidé « l’ » et du nom « orient ». Quel lien entre Lorient et l’Orient ? Un bateau, plus exactement le « Soleil d’Orient », un navire construit en 1669 dans les chantiers de la Compagnie française des Indes orientales. Le chantier où le navire avait été construit a fini par prendre le nom du bateau, sous la forme abrégée « L’Orient ». C’est ce lieu qui est devenu « Lorient », attesté sous cette forme l’année suivante.
Les mots agglutinés illustrent l’histoire et l’évolution de la langue française, souvent issus de la contraction ou de la fusion de mots ou d’éléments grammaticaux, permettant de comprendre leur origine et leur formation.
Source : Projet Voltaire
J'ai aimé un rouge-gorge
J'ai aimé un rouge-gorge. Il me dévisageait. Ses petites pattes solidement plantées sur une branche d'arbre. Un Dieu moqueur brillait dans ses yeux, semblant me dire "Pourquoi cherches-tu à faire quelque chose de ta vie ? Elle est si belle quand elle ne fait qu'aller, insoucieuse des raisons, des projets et des idées." Je n'ai pas su lui répondre.
Christian Bobin
1951-2022
Ecrivain, poète
Extrait de "Ressusciter" (Gallimard 2001)
A l'ombre d'un doute
Elle imaginait un monde où chacun deviendrait un super-héros, doté non de super-pouvoirs, mais d’inspiration et d’actes. Portée par une confiance inébranlable, elle croyait fermement à la participation citoyenne et à ses promesses : démonolithiser le quant-à-soi, relier les esprits pour transformer notre monde. Quel défi ! Même si ce dernier pouvait paraître inconscient et prétentieux aux yeux de certains.
Ecrivain biographe, elle se plaisait tout autant à écouter des histoires qu’à raconter celles des autres. Journaliste, elle aimait les mots. Certains d’entre eux résonnaient en elle en mode majeur et lui semblaient inaliénables. Ainsi, « démocratie » et « engagement » qu’elle tentait d’incarner de son mieux dans un monde aspiré dans un vortex d’agitation stérile. On avait beau lui répéter qu’elle se berçait d’illusions, qu’elle rêvait à haute voix, qu’il lui fallait accepter ce monde tel qu’il était, dépenaillé de plus en plus de son humanité, elle répondait à cela qu’elle continuerait de croire sans faillir à l’émouvante légende du colibri, rendue célèbre par l’humaniste Pierre Rabhi ; vous savez, ce petit oiseau qui apporte en son bec une minuscule goutte d’eau afin d’éteindre un vaste incendie dans la forêt. Faire sa part, voilà ce qu’elle avait à cœur d’entreprendre sur cette planète « bleue comme une orange », comme l’écrivait si joliment le poète Paul Eluard, et qu’importe les Cassandre qu’elle rencontrerait en route.
Pourtant, le chemin de l’engagement est loin d’être un long fleuve tranquille. Elle le savait. Il est même une voie qui, dans quelques occasions, peut nous rendre prétentieux. Rattrapés par notre ego, nous voici à penser que nous avons le pouvoir de changer le monde, d’engager une révolution douce mais durable, révolution dont, bien sûr, nous serions un acteur, voire l’un de ses héros. Quelle fatuité !
Lorsque ce n’est pas notre ego qui se complaît à nous raconter de belles histoires, ce sont les sceptiques qui se découvrent au détour d’une conversation engagée sur les vertus du désengagement. Ces mêmes sceptiques qui l’invitent, dans un élan de fausse commisération, à renoncer à ses aspirations et à accepter le monde tel qu’il est. Bref, à se résigner. Dans ces moments-là, elle ferme les écoutilles. Quoi qu’il arrive, ne pas céder, continuer à faire sa part.
Sa part, c’était d’avoir rejoint le Conseil de développement d’Angers où elle vivait depuis quelques années. Membre assidue et engagée, elle consacrait de nombreuses heures à des réunions parfois interminables, dont elle ressortait en se demandant si quelque chose de concret en résulterait un jour. Elle réfléchissait et imaginait d’autres possibles, formalisés dans des rapports remis aux élus. Parfois, elle se demandait ce que deviendraient ces pages de réflexions étayées. Viendraient-elles s’ajouter à d’autres empilées, cernant le bureau des édiles telle une citadelle imprenable ? Ou peut-être aideraient-elles à caler une porte ? Ou, encore, le rapport « changement climatique, solutions et propositions » servirait-il d’éventail les jours de grandes chaleurs…
Oui, parfois le doute s’immisçait. Toutes ces heures passées à construire des « lendemains qui chantent » valaient-elles vraiment la peine ? Puis, un jour, ce doute commença son œuvre, enfonçant lentement son dard pernicieux dans son esprit. Sa décision était prise. Elle quitterait le Conseil de développement. Dans ce goût d’inachevé qu’elle ressentait comme un échec qui ne disait pas son nom, il y avait aussi un autre goût, celui de l’amertume, de la désillusion...
Une décision est une chose. Ce qu’en fait la vie en est une autre. Souvent bien différente. Quelques jours plus tard, une opportunité inattendue se présenta. On lui proposait de participer aux 9èmes Rencontres européennes de la participation citoyenne. L’événement se déroulait au cœur du sérail de la démocratie européenne : Strasbourg. Curieusement, alors que les choses étaient claires quant à son désengagement local, elle répondit sans l’once d’une hésitation qu’elle prendrait part à cette manifestation.
À son arrivée dans la capitale alsacienne, elle fut saisie par une étrange sensation. Il y avait dans cette ville une énergie particulière ; de celles qui nous portent, nous élèvent. Il lui fut proposé de découvrir le Parlement Européen. De la même façon qu’il lui avait semblé évident de rejoindre Strasbourg pour participer audit événement, il lui semblait incontournable de visiter ce lieu pour lequel, elle en convenait, elle n’avait jamais manifesté d’intérêt particulier. À sa descente du tramway, elle distingua à l’arrière d’une palissade grise, des drapeaux flottant avec force et conviction. Ici, les vents sont porteurs, songea-t-elle. Vingt-sept pavillons multicolores érigés tels des phares indiquant la voie à suivre pour ne pas s’échouer.
Enfin, elle le découvrit. Majestueux et imposant, le Parlement européen semblait l'appeler. Elle y entra sans savoir ce qui l’attendait mais avec la conviction que quelque chose s’y passerait. Exposées le long de coursives feutrées, des photographies de femmes et d’hommes dont la contribution avait posé les fondements de ce que l’on appelait alors encore la CEE. Robert Schuman, Louise Weiss…D’autres avaient repris le témoin sans jamais douter de leur engagement malgré les vicissitudes, les zones de turbulences. Toutes et tous avaient porté haut et loin la voix de l’Europe avec fierté. Simone Weil, Jacques Delors, dignes héritiers d’une filiation humaniste et engagée. Mais c’est en pénétrant dans l’hémicycle que son émotion fut la plus palpable. Ce fut alors la révélation. Entrée par les gradins supérieurs, elle surplombait l’arène, pour l’heure silencieuse. D’ici, elle avait une vision à 180 degrés sur l’Europe et sur sa souveraineté populaire. Et ça, ça change tout. Dans ce lieu nourri par notre mémoire collective, elle sentait l’âme de la démocratie originelle.
Ce n’était pas un hasard si, dans la Grèce antique, l’expression de la parole publique et libre s’exerçait dans un hémicycle. Les Grecs avaient compris que la forme de demi-cercle était la plus appropriée et la plus respectueuse pour accueillir le verbe, pour que naisse le débat et, in fine, que soit prise une décision collégiale. Symbole par excellence de cette parole affranchie, l’hémicycle incarnait alors les principes de participation et d'égalité parmi les citoyens, tout en jouant un rôle central dans le fonctionnement des institutions politiques de l'époque.
Depuis, tant d’eau avait coulé dans les méandres de l’Histoire ; tant de vent avait soufflé sur les cimes de la liberté. Mais, ici l’union des vocables « demos » (peuple) et « kratos » (pouvoir), traduisant l’idée de « gouvernement du peuple », n’avait jamais été aussi tangible. Plus que jamais, elle se sentait citoyenne de l’Europe. Et pour que ce petit monde puisse s’entendre, se comprendre, communiquer, débattre, voter, acter… on en appelait au talent et à la dextérité des interprètes qui, installées dans l’ombre de pièces vitrées face à l’assemblée, traduisaient qui du hongrois en italien, qui du roumain en slovaque, à moins que ce ne soit du maltais en espagnol, du bulgare en estonien, ou du grec en suédois.
À l’aune de toutes ces femmes et de tous ces hommes engagés dans le destin de notre cher vieux continent, comment pouvait-elle imaginer ne plus faire sa part ? « Souviens-toi de ce petit colibri », lui chuchotait une voix intérieure.
Le lendemain, tandis que flottaient encore autour d’elle ces effluves de démocratie perçues lors de sa visite du Parlement européen, les 9èmes Rencontres européennes de la participation citoyenne l’attendaient. Elle y avait sa place. Plus que jamais. Chaque intervention rappelait l'importance de l’engagement aussi infime soit-il. Elle réalisa que son implication faisait partie d'un mouvement autrement plus vaste. Une sorte d’effet papillon, où des actions, réalisées même de façon confidentielle, ont indéniablement des conséquences sur nos vies. La « res publica » populaire (au sens étymologique de venant du peuple) se construit en cheminant ensemble, chaque pas se posant aux côtés de ceux des autres. Cela lui rappelait l’engagement européen de cet écrivain humaniste qu’elle aimait tant, Stefan Zweig, pour qui l’Europe était avant tout une civilisation, des émotions partagées, un espace de débat et de respect mutuel. Bien avant d’être un territoire, notre vieux continent incarnait une idée de fraternité.
De retour chez elle, portée par l’énergie tellurique et spirituelle des lieux qu’elle avait quittés quelques heures plus tôt, nourrie par l’enthousiasme collectif de l’événement, elle comprit que cette quête de gouvernance, loin d’être une mission de tout repos, suivait un chemin semé d’embûches, de défis, où naissent cependant d’inspirantes réussites. Et c'est précisément ce qui la rendait si précieuse et si vivante.
Puissent les jeunes générations entendre la justesse des mots de l’anthropologue américaine et intellectuelle engagée Margaret Mead (1901-1978), « Ne doutez jamais qu'un petit groupe de citoyens réfléchis et engagés puisse changer le monde ; en fait, c'est la seule chose qui ait jamais fonctionné », et d’y ajouter la sagesse des propos du philosophe français Henri Bergson, « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons en faire ».
Marianne Bourgeois
Ecrit par une journée pleine de promesses
Avril 2025
Une mouette passe...
J'ai préparé un texte.
Je le lis pour les nuages.
Personne n'écoute.
Une mouette passe.
Sylvain Tesson
Ecrivain, poète, voyageur
Extrait "Les piliers de la mer" (2025)
De la vertu des réseaux associaux
Le bonheur de la vie, le charme de l'existence et la solidité de l'aventure humaine, ça a été parfois de s'isoler, de se replier, de faire silence en soi, de ne pas être informé de tout.
Il existe aussi des réseaux associaux. La promenade dans les bois, la lecture d'un livre, la visite d'un musée...
Sylvain Tesson
Écrivain