A bientôt ma superbe
Juste pour te dire que j'arrive mardi par la route, remontant avec les Gallimard lundi.
Je te téléphonerai à mon arrivée, mais on pourrait peut-être convenir déjà de dîner ensemble mardi. Disons en principe, pour faire la part des hasards de la route et je te confirmerai le dîner au téléphone.
Je t'envoie déjà une cargaison de tendres voeux et que la vie rejaillisse en toi pendant toute l'année te donnant le cher visage que j'aime depuis tant d'années (mais j'aime le soucieux aussi, et de toutes les manières). Je plie ton imperméable dans l'enveloppe et j'y joins tous les soleils du coeur.
A bientôt ma superbe. Je suis si content à l'idée de te revoir que je ris en t'écrivant.
J'ai fermé mes dossiers et ne travaille plus (trop de famille et trop d'amis de la famille).
Je n'ai donc plus de raisons de me priver de ton rire et de nos soirées, ni de ma patrie.
Je t'embrasse. Je te serre contre moi jusqu'à mardi où je recommencerai.
30 décembre 1959
Ce que vous venez de lire est l'ultime lettre d'Albert Camus à son grand amour, la comédienne Maria Casarès. Impossible de la lire sans avoir le cœur serré. « Dernière lettre », écrit l'écrivain d'une façon prémonitoire. Installé dans sa maison de Lourmarin dans le Vaucluse depuis le mois de novembre 1959, il dit à sa maîtresse qu'il rentrera finalement « par la route » le lundi 4 janvier. Albert Camus n'est jamais arrivé à Paris. Il est mort, tué sur le coup, dans un accident de la route lorsque la Facel Vega de Michel Gallimard s'est écrasée violemment contre un platane au sud de Fontainebleau. Maria Casarès est morte en novembre 1996 à l'âge de 74 ans. 865 lettres, cartes et télégrammes que les amants secrets se sont échangés pendant douze ans forment un sublime roman d’amour de ce temps.
« Correspondance (1944-1959)» , Albert Camus et Maria Casarès, éd. de Béatrice Vaillant, avant-propos de Catherine Camus, éd. Gallimard,
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