Sous la plume de Marianne

Sous la plume de Marianne

Y a du divin en toi ! Ça c'est certain !

 

 

A la base, comme disent les jeunes et les moins jeunes (j’ai une aversion épidermique pour cette expression), le covoiturage permet de faciliter le déplacement d’un point A à un point B. Mais il est loin de n’être que cela. Il est un panel assez représentatif de la société. Mes nombreux trajets m’ont permis souvent de croiser des personnes insolites, attachantes, remarquables, bienveillantes, et plus rarement mal embouchées. Lorsqu’elles sont grognons façon le regretté Jean-Pierre Bacri, c’est assez croustillant.

 

Récemment, je rentrai de Pontoise pour rejoindre Angers. J’étais passablement chargée. De ce fait, j’espérai trouver un covoiturage avec une voiture suffisamment spacieuse pour primo, accueillir mes bagages, secundo mes longues jambes. Je demandai donc à mon ange gardien s’il avait quelque temps de libre en ce moment pour s’occuper de moi.

 

Quelques heures plus tard, une offre se présenta, presque inespérée avec une voiture digne de ce nom pour accueillir mon chargement. Profil du conducteur ? Matthieu, 20 ans, expliquant sur son annonce qu’il était souple sur les horaires et sur les lieux de rendez-vous et que sa voiture (Opel Zafira 2005) n’avait pas pu être reconnue par l’algorithme de Blablacar en raison de son grand âge, mais que vieille ou pas, « le coffre est immense ! » ajoutait-il.


Ni une, ni deux, je réservai. Tout était parfait. D’autant plus parfait que j’étais la seule passagère à bord de la « vieille » voiture. Ce faisant, tout le monde voyagerait à son aise, mes bagages et mes jambes. Le jour J, nous nous retrouvions sur le lieu de rendez-vous. Une Opel Zafira beige s’arrêta devant moi. Un petit bonhomme d’un mètre 60 tout au plus, en sortit. Tout fluet et sautillant, Matthieu m’accueillit le sourire aux lèvres.

 

- Matthieu, heureux de faire votre connaissance.

- Marianne. Plaisir partagé. On se tutoie ?

- Heu…je vais essayer mais ne m’en voulez pas s’il y a des ratés, dit-il avec respect.

 

Je compris que les 40 ans qui nous séparaient pouvaient l’empêcher d’adopter une forme de proximité. Avec égard, il se saisit de mes bagages, les installa dans le coffre et m’invita à rejoindre le siège avant. Le « A » collé sur le pare-brise arrière attestait des quelques heures de vol de mon jeune chauffeur.

 

- Ne vous inquiétez pas. La voiture fonctionne très bien.

- Pourquoi serais-je inquiète ?

 

Matthieu me montra le levier de vitesse encapuchonné dans une sorte de boule de plastique recouverte de laine.

 

- Cela n’empêche pas la voiture de rouler, précisa Matthieu. Parfois, la marche arrière est compliquée car il y a un geste précis à faire mais tout ira bien.

- Je n’ai aucune crainte. Je me sens en sécurité avec vous.

- Ah oui ? Peut-être faudra-t-il s’arrêter en cours de route pour permettre au moteur de refroidir. On avisera. Vous êtes bien installée ?

- Parfaitement bien.

- Tenez, c’est pour vous.

 

Matthieu me tendit une bouteille d’eau. Je le remerciai, sensible à son attention.

La première enclenchée, nous voici partis vers notre destin. Suspendue au rétroviseur, une belle croix bleue. Très rapidement, Matthieu voulut en savoir plus sur ma personne. Que faisais-je dans la vie, quelles études avais-je entreprises. Je lui renvoyai la question. Avec un regard malicieux, Matthieu me répondit :

 

- Non, toi d’abord ! répondit-il à la manière d’un jeune enfant.

 

Je me pliai volontiers à l’exercice. Je terminai mon récit par un « A toi maintenant ! ».

Mon jeune ami m’expliqua qu’il venait de terminer ses études pour en commencer d’autres, dans un tout autre domaine. Ses études, il ne les avait pas vraiment choisies ; c’était Dieu qui l’avait guidé. Interpellée, je me tournai vers Matthieu qui saisit mon étonnement.

 

- Tu crois en Dieu Marianne ?

 

S’il est une question à laquelle je ne m’attendais pas, c’était bien celle-ci. Mon mental, toujours très véloce pour me raconter des histoires à dormir debout ou pour entretenir mes peurs, commença allègrement à me dire que je devais être en compagnie d’un jeune fondamentaliste, que j’allai être endoctrinée le temps du voyage et que si je n’acceptai pas de rejoindre le mouvement religieux auquel ce jeune homme devait appartenir, je finirais mal, très mal.

 

- Comment te dire…lui répondis-je.

- Ma question te met mal à l’aise ?

- Pas du tout, ajoutai-je faussement.

 

Que répondre à Matthieu ? Je m’en remis à mon cœur qui m’aida à trouver les mots qui me semblaient les plus justes, les moins simplistes face à une telle question existentielle. Je racontai à mon jeune interlocuteur que j’avais été élevée, comme la plupart des enfants de ma génération, dans la religion catholique. Parents croyants, pratiquants puis école catholique ; uniforme, jupe bleue marine, chemisier blanc ou bleu ciel, communion, confirmation, que sais-je…

 

- Non ? S’exclama Matthieu comme si ma « confession » le rassurait. Donc tu crois en Dieu, répéta-t-il.

- Je crois dans quelque chose qui dépasse tout dogme au sens où nous l’entendons. Je crois dans une forme d’esprit « supérieur » devant lequel nous sommes bien peu de choses. Comment, ajoutai-je, ce merveilleux qui existe sur cette terre a-t-il pu être crée sans ce que j’appellerai une forme de divin ?

- Donc tu crois en Dieu, insistait mon jeune ami.

 

Je posai un silence histoire de trouver les mots que Matthieu pouvait entendre. Je n’avais pas envie d’y aller franco en lui disant « non, Matthieu, je ne crois pas en Dieu comme toi ».

 

- Ce que je pourrais appeler Dieu, c’est l’univers, c’est le vivant. Bref, tout ce qui nous entoure, nous accompagne. L’eau, la nature, le vent, le soleil, l’amour aussi…C’est une forme de Dieu, non ? Lorsque quelque chose de beau arrive dans ma vie, je remercie je ne sais pas qui, mais je remercie. Et puis, il y a forcément des « âmes » qui veillent sur nous.

 

Matthieu semblait perplexe.

 

- Mais est-ce que tu pries ?

- Non. Enfin si. Enfin pas vraiment.

- Ça veut dire quoi « pas vraiment » ?

 

La jeunesse ne connait pas la modération. C’est soit blanc, soit noir. Dieu soit loué, ai-je envie d’ajouter.

 

- En y réfléchissant, si, je prie.

- Ah ! Tu vois !  Répondit-il avec un large sourire.

- Le soir, avant de m’endormir, je récite un « Salut Marie » et…

- Non ? Trop bien !!

- Je remercie Marie pour avoir veillé sur mes proches et les personnes qui me sont chères, pour m’avoir offert cette journée, même quand cette dernière a été franchement moyenne.

- Je savais que tu avais Dieu en toi.

 

Ce garçon était incroyable de candeur, de douceur, et d’enthousiasme. J’ajoutai que le matin, je remerciai « je ne sais qui » pour m’offrir le privilège de me réveiller en bonne santé, de pouvoir marcher, voir, entendre, vivre…et d’offrir ce privilège à ceux que j’aimais.

 

- Quand même Marianne ! Tu dis que tu ne crois pas vraiment en Dieu comme moi je crois en lui mais en t’entendant, pardon mais tu crois carrément en Dieu !! Y a du divin en toi, ça c’est certain !

 

Je regardai la croix bleue suspendue au rétroviseur.

 

- Cette croix…c’est à toi ?

- Non. C’est à mon père comme la voiture !

 

Matthieu m’expliqua qu’il rejoignait Angers pour vider un appartement qu’il avait loué au cours de ses études.

 

- Mon père m’a prêté sa vieille voiture. Il en a une autre bien plus moderne, une 5008 qui lui sert à transporter les achats pour le restaurant.

 

C’est alors que Matthieu commença à me raconter la vie de ses parents. Dans les années 90, son père, Egyptien, était venu en France pour autant de raisons que toutes ces personnes qui fuient leur pays pour trouver paix, sécurité et accessoirement un travail. Le père de Matthieu trouva un emploi dans la restauration. Quelques années plus tard, il rencontra une jeune femme venue d’Egypte et originaire du Soudan, biologiste de formation, fuyant elle aussi son pays. Une rencontre, un premier baiser, un couple et quelques années plus tard, une famille. Quatre enfants. Matthieu a une sœur aînée, un frère jumeau, et une petite sœur. Aujourd’hui, le père de Matthieu a son propre restaurant. Un restaurant italien (!?) à Montmartre. Il y travaille en famille avec l’un de ses frères venus le rejoindre.

 

- Sur ce que j’ai de plus précieux Marianne, je te jure que le restaurant de mon père c’est le meilleur italien de tout Paris !

 

Matthieu m’expliqua que sa famille, toujours en Egypte, ses parents, lui bien sûr, étaient des Chrétiens d’origine copte (*), que la religion occupait une place importante dans leur vie, que la vie, belle ou difficile, était une manifestation de Dieu ; que c’était ce même Dieu qui nous guidait dans nos choix, y compris dans nos indécisions où il prenait alors la main pour nous aider à trancher, à avancer. J’écoutai attentive, intéressée par les mots de ce jeune homme au regard pétillant, habité par cette lumière intérieure qui s’invite souvent, je trouve, dans l’âme d’êtres croyants ou religieux.

 

- Tu vois en ce moment, je prie.

- C’est-à-dire ?

- Je remercie Dieu pour notre rencontre et pour m’avoir permis de croiser ton chemin. Tu peux prier là maintenant ?

- Pas vraiment. Ma prière, au sens où je l’entends, je la pratique plus volontiers dans un environnement propice à cela. Une forêt, un bord de mer…C’est dans ces moments-là où je peux me connecter à quelque chose d’impalpable, le vent, le soleil, les arbres, l’eau…alors là, oui d’une certaine façon, je prie. Je remercie pour cette beauté, je remercie pour avoir la chance d’être là en bonne santé, libre de mes faits et gestes, je remercie pour…

- Désolé de te le dire mais tu crois en Dieu ! Tu as vu comment tu parles ? Tu pries Marie le soir, tu remercies, donc tu es dans la gratitude, tu t’émerveilles, et puis cette lumière en toi, moi je la vois ! Tu es reliée à Dieu mais toi, tu ne le sais pas.

- Pourquoi pas, répondis-je dubitative.

 

Je trouvai mon jeune ami tellement attendrissant dans cette conviction qui ne souffrait d’aucun doute. Les parents de Matthieu ne l’avaient pas contraint à croire en Dieu. Ils lui en avaient parlé souvent, certes, lui citant parfois des phrases de l’Evangile pour l’aider à comprendre certaines choses de la vie. La religion faisait partie des us et coutumes de la famille comme ces moments chaleureux autour d’un bon plat, comme les vacances en Egypte pour retrouver la famille. A mi-parcours, la maman de Matthieu l’appela.

 

- C’est ma mère. Cela ne te gêne pas que je lui réponde ?

 

Pouce levé, je lui répondis par l’affirmative. Matthieu échangea quelques brèves phrases avec sa maman et raccrocha.

 

- Je l’ai rassurée. Elle est un peu mère poule tu sais. Je lui ai parlé de toi. Je lui ai dit que j’avais trouvé ma deuxième maman, que tu étais top !

 

Il faisait terriblement chaud dans la voiture. Mes joues avaient très chaud. D’émotion.

 

- Tu parlais arabe avec ta maman ? Je n’ai pas tout compris, lui dis-je en souriant.

 

Matthieu m’expliqua qu’il était bilingue, précisant que les Egyptiens parlaient l’arabe littéraire.

 

- C’est l’Arabe le plus pur, celui qui est le plus proche de ses racines originelles ; celui-là même qui a servi aux premières écritures, ajoutant qu’il pouvait comprendre des personnes parlant arabe en Arabie Saoudite, au Qatar, etc., mais non l’arabe parlé dans les pays du Maghreb qui était un amalgame de langues grecque, maure, etc.

 

La route suivait son cours. Matthieu était gai comme un pinson. Il me proposa d’écouter des chansons en langue arabe qui n’étaient autres que des louanges. Va pour les louanges qui - belle découverte - étaient magnifiques tant musicalement que vocalement.

 

- Je suis content de t’avoir rencontrée.

Quelques secondes plus tard, il sollicita mon avis sur un sujet qui lui semblait important.

 

- Tu penses que c’est le rôle des profs, de l’école d’éduquer les enfants ?

 

Je réfléchissais à la possible réponse, la charge de « seconde maman » faisant peser plus encore l’enjeu de ma réponse (:-).

 

- Tu vois ces arbres le long de la route ? Ces arbres ont des racines. Au plus ces arbres s’élèvent dans le ciel, au plus leurs racines sont profondes. Si un enfant n’a pas de racines solides - c’est-à-dire ses parents - qui l’aident à s’élever dans tous les sens du terme, il lui manquera une part fondamentale pour se construire. Il sera plus fragile, moins résistant. A mes yeux, l’école n’est pas là pour élever. Pour reprendre la métaphore de l’arbre, l’école apporte de l’eau au jeune arbre, elle l’aide à pousser, à apprendre, à l’ouvrir au monde. Certes. Mais tout cela n’est possible qu’à condition qu’un arbre ait déjà des racines.


Je doutai d’avoir été claire. Matthieu tourna le visage vers moi, ses yeux noirs grand ouverts.

 

- J’adore ton image avec l’arbre. J’adore ! Tu es vraiment la boss toi alors !

 

Je ne percutai pas tout à fait sur la définition de « boss » mais j’imaginai que ce devait être un mot plutôt sympathique, voire un compliment.


Le voyage arriva à son terme. Matthieu s’arrêta, s’empressa d’ouvrir le coffre, d’en sortir ma valise, de me demander si j’avais fait un bon voyage. Je lui répondis que j’avais été sincèrement heureuse de l’avoir rencontré, que je lui souhaitais bonne chance sur ce chemin qui était le sien, que je n’étais pas inquiète pour lui et qu’il était bien accompagné… Il me fit remarquer qu’il s’était passé quelque chose de curieux lors du voyage.

- La voiture n’a même pas chauffé une seule seconde ! D’habitude, il faut s’arrêter souvent.

- Et ?

- Preuve qu’on était protégés toi et moi par Dieu, que tu as Dieu en toi. Je te jure ! T’es juste la boss Marianne !!


La boss ? Ni une, ni deux, à mon retour, je sollicitai l’intelligence artificielle (française) « Le Chat Mistral » et demandai « De toi à moi, le Chat, que signifie être le boss en langage de « djeun » ? Deux secondes plus tard, la réponse s’afficha sur l’écran : « L'expression « c'est juste la boss » est effectivement un langage familier souvent utilisé par les jeunes. Dans ce contexte, cela signifie que la personne en question est exceptionnelle, impressionnante, ou tout simplement géniale. C'est une façon de montrer une grande appréciation ou admiration pour quelqu'un ». Le soir, Matthieu m’envoya un message pour me remercier de notre rencontre. De simple passagère, j’étais passée au statut de « seconde maman » et de « boss ». A n’en pas douter, je me souviendrai longtemps de ma rencontre avec ce petit lutin. Matthieu m’aidera-t-il peut-être à croire un jour en Dieu. Du moins, l’espère-t-il… Ce jour-là, le divin, c'était lui.

 

 

 

 

 

(*) Les Coptes sont aujourd'hui les habitants chrétiens d'Égypte. La très grande majorité des Coptes sont membres de l'Église copte orthodoxe dirigée par un primat, mais il existe aussi depuis le XIXe siècle une Église catholique copte, ainsi qu'une Église évangélique copte. Devant les soubresauts de l'histoire de l'Égypte qui a fait de la communauté copte une minorité, une diaspora s'est progressivement organisée, notamment au cours du XXe siècle (source Wikipédia)

 

 

 



01/06/2025
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