Sous la plume de Marianne

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Comment savoir si on a vraiment rencontré quelqu’un ?

 

Ce matin, réponse du philosophe Charles Pépin sur France Inter à la question "Comment savoir si on a vraiment rencontré quelqu’un ?"

 

« Ce fut comme une apparition » ! Vous vous souvenez ? L’Education sentimentale de Flaubert… Nous avons parfois en effet, au cœur des grandes rencontres, ce sentiment d’évidence, de révélation, comme si venait de surgir la personne que l’on attendait depuis toujours… Mais ne nous emballons pas…

 

Ah bon et pourquoi pas ? Ce sentiment d’évidence ou d’apparition n’est pas le signe qu’une véritable rencontre est en train de se produire ?

Pas nécessairement… Il est le signe que quelque chose se passe, mais qui peut très bien relever du leurre, de l’illusion, de la projection. Or la question est : « comment savoir si on a vraiment rencontré quelqu’un ? ». Et pour cela il faut distinguer les signes de la rencontre en train de se faire, des signes indiquant que la rencontre a vraiment eu lieu – et donc que les promesses du choc initial de la rencontre ont été véritablement tenues.

 

Certains signes indiquent en effet qu’une rencontre est en train d’avoir lieu. Nous venons d’évoquer ce sentiment d’évidence, mais nous pourrions parler aussi de trouble, d’attirance étrange, ou même plus simplement d’une belle curiosité pour l’autre et son monde…

 

Une belle curiosité pour le monde de l’autre, vous pouvez préciser ?

Oui bien sûr. Nous sommes très autocentrés, nous nous intéressons surtout à nous-mêmes. Je me souviens d’une étude mesurant le pourcentage de nos pensées quotidiennes dirigées vers nous-mêmes (notre bonheur, notre quotidien, nos souffrances et nos joies etc…)… Près de 90% !! - et seulement 10% de nos pensées dirigées vers les autres… Il faut se méfier de ce genre d’études, mais quand même… Eh bien la force de la rencontre, amoureuse comme amicale, c’est qu’elle me décentre enfin de moi-même : l’espace d’un instant, quand je suis curieux de cet autre que je viens de rencontrer, quelqu’un m’intéresse enfin plus que moi ! On se désencombre soudain un peu de soi et ça fait un bien fou !

 

Alors est-ce que c’est ça le signe qu’on a vraiment rencontré quelqu’un ?

Eh bien non. Car il arrive souvent que l’autre me fascine au début, que je me décentre de moi-même en étant curieux de l’autre, de son histoire et de ses goûts, de ses amis, de tout ce paysage qui se déplie quand je m’intéresse à lui, mais que finalement cela ne donne rien sur la durée. Autrement dit, tous les signes que nous venons d’évoquer – la sentiment d’évidence, le trouble, l’attirance, la curiosité – peuvent être trompeurs. On l’a tous déjà vécu : on y a cru, on s’est emballé, et puis finalement rien… Ces signes indiquent la promesse de la rencontre plus que la rencontre elle-même.

 

Mais il y a un signe que la rencontre a vraiment eu lieu, que la promesse initiale a été tenue, et c’est tout simplement… que j’ai changé. Que la rencontre de l’autre, en amour comme en amitié, m’a ouvert à des dimensions de moi-même que je ne soupçonnais pas, ou qui étaient en sommeil, ou que je ne m’autorisais pas à développer. Camus, en rencontrant la comédienne Maria Casares, va se découvrir capable d’une joie de vivre simple et légère qu’auparavant il ignorait. Maria Casares, rencontrant Camus, va se trouver capable d’élans fou et absolus qui, auparavant, ne lui ressemblaient pas.

 

Le signe que j’ai vraiment rencontré l’autre, c’est que j’ai rencontré aussi l’autre en moi, et par voie de conséquence, que je vois le monde en partie autrement. Sans la rencontre des autres, nous resterions identiques à nous-mêmes, figés dans nos habitudes et dans nos certitudes.

 

Le signe que j’ai vraiment rencontré quelqu’un, c’est que ma carapace identitaire ou routinière s’est fissurée pour laisser passer une lumière nouvelle. Et cela se traduit concrètement : je peux avoir des habitudes nouvelles, voter différemment, organiser ma vie autrement, faire la cuisine différemment, faire l’amour autrement, envisager certaines questions, écologiques par exemple, de manière nouvelle. Alors on sait que la rencontre a eu lieu : on fait, au sens propre, l’expérience de l’altérité.

 

Mais je sens monter votre crainte : vous pensiez avoir rencontré quelqu’un et pourtant… Vous n’avez pas changé de conviction, vous votez toujours de la même façon, faites la cuisine de la même façon, faites l’amour de la même façon, partez toujours en vacances au même endroit… Si vous n’avez en rien changé mais pensez avoir rencontré quelqu’un, je suis au regret de vous dire que vous n’avez probablement rencontré personne.



15/03/2025
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