Liredélivre
Légèreté des instants
La légèreté, elle est partout, dans l’insolente fraîcheur des pluies d’été, sur les ailes d’un livre abandonné au bas d’un lit, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré, dans la rumeur des cloches d’un monastère à l’heure des offices, comme on mâche un brin d’herbe, dans la fée d’une lumière au détour d’un virage sur les routes serpentine du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets le soir, dans une fine touche de bleu, bleu pale, bleu-violet, dans la douceur d’ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l’instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant au sol et dans la maladresse d’un chien glissant sur un étang gelé, j’arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.
Christian Bobin
1951-2022
Ecrivain, poète
Extrait "La folle allure"
Parcourir les rayonnages de sa bibliothèque intérieure
Rien ne vaut de passer un bon moment avec soi-même, à parcourir les rayonnages de sa bibliothèque intérieure.
Sylvain Tesson
Ecrivain, voyageur
Extrait de "Petit traité sur l’immensité du monde"
Désinhiber
J'ai passé ma vie dans l'inhibition littéraire. Sauf lors de rares élans de liberté.
Il y a cinq ans, j'ai rencontré une femme qui m'a transformé, puis j'ai failli crever.
Cette peur mêlée à cet amour, m'a totalement désinhibé.
Pierre Michon
Écrivain
Né en 1945
Ndlr : La plume de Pierre Michon est poétique. Elle va à l'essentiel. A l'image de l'homme, elle peut avoir beaucoup de sel et d'esprit. je vous recommande "Vies minuscules" (1984)
Lire l'autre
Aimer quelqu’un, c’est le lire. C’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en lisant le délivrer. C’est déplier son cœur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un livre écrit dans une langue étrangère. Il y a plus de texte écrit sur un visage que dans un volume de la Pléiade et, quand je regarde un visage, j’essaie de tout lire, même les notes en bas de page.
Je pénètre dans les visages comme on s’enfonce dans un brouillard, jusqu’à ce que le paysage s’éclaire dans ses moindres détails. Nos propres actes nous restent indéchiffrables. C’est peut-être pourquoi les enfants aiment tant qu’on leur raconte sans fin tel épisode de leur enfance. Lire ainsi l’autre, c’est favoriser sa respiration, c’est-à-dire le faire exister. Peut-être que les fous sont des gens que personne n’a jamais lus, rendus furieux de contenir des phrases qu’aucun regard n’a jamais parcourues. Ils sont comme des livres fermés.
Une mère lit dans les yeux de son enfant avant même qu’il sache s’exprimer. Il suffit d’avoir été regardé par un nouveau-né pour savoir que le petit d’homme sait tout de suite lire. Il est même comme les grands lecteurs : il dévore le visage de l’autre. On lit en quelqu’un comme dans un livre, et ce livre s’éclaire d’être lu et vient nous éclairer en retour, comme ce que fait pour un lecteur une très belle page d’un livre rare.
Quand un livre n’est pas lu, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Ce qui peut se passer de plus terrible entre deux personnes qui s’aiment, c’est que l’une des deux pense qu’elle a tout lu de l’autre et s’éloigne, d’autant qu’en lisant on écrit, mais d’une manière très mystérieuse, et que le cœur de l’autre est un livre qui s’écrit au fur et à mesure et dont les phrases peuvent s’enrichir avec le temps. Le cœur n’est achevé et fait que quand il est fracturé par la mort. Jusqu’au dernier moment le contenu du livre peut être changé. On n’a pas la pleine lecture de ce qu’on lit tant que l’autre est vivant.
Dieu serait le seul lecteur parfait, celui qui donne à cette lecture tout son sens. Mais la plupart du temps, la lecture de l’autre reste très superficielle et on ne se parle pas vraiment. Peut-être que chacun de nous est comme une maison avec beaucoup de fenêtres. On peut appeler de l’extérieur et une fenêtre ou deux vont s’éclairer mais pas toutes. Et parfois, exceptionnellement, on va frapper partout et ça va s’éclairer partout, mais ça, c’est extrêmement rare. Quand la vérité éclaire partout, c’est l’amour.
Christian Bobin
1951-2022
Écrivain, poète
Extrait : "La lumière du monde" - Gallimard
So british !
N'oublions jamais que le "Financial Times" avait titré, le jour où un bloc de la falaise de Douvres s'était abîmé dans les eaux de la Manche : "La France recule."
Sylvain Tesson
Écrivain, voyageur
Extrait de "Les piliers de la mer" - Albin Michel (2025)