Sous la plume de Marianne

Sous la plume de Marianne

De la vertu de la colère

Prendre sur soi, encore prendre sur soi et puis patatra.

 

Parfois, il m'arrive de me mettre en colère, avec ce sentiment diffus que cette dernière ajoute plus encore de mal au mal.

 

Parfois, il m'arrive d'avoir ce que j'appelle de bonnes colères, de celles qui signifient à l'autre, aux autres, que cette fois, trop c'est trop et que ce n'est pas négociable, qu'au-delà de cette limite... Le cas échéant, il semblerait que cela soit salutaire :"C'est oublier la belle vertu de la colère". Merci Charles.

 

 

 

Tous les samedis, Charles Pépin répond aux questions des auditeurs de France Inter. Aujourd'hui, "Y a-t-il parfois de bonnes colères ?"

Cette question nous invite à revaloriser cette colère si souvent décriée, qui relève à la fois du manque de sagesse pour bien des philosophes et du péché d’orgueil pour les Chrétiens - la colère faisant partie des sept péchés capitaux…

 

 

Un péché d’arrogance puisque seul Dieu peut se mettre en colère ?

Oui, en gros. Mais on trouve cette dévalorisation de la colère déjà chez les philosophes antiques. Pour les stoïciens, la colère est vaine et contreproductive. Puisque les choses arrivent conformément à un Destin, la colère ne sert à rien puisqu’elle ne changera pas le Destin. Par notre colère, nous ne faisons qu’ajouter un second mal au premier et toute sagesse, pour un stoïcien, commence par ne pas ajouter du mal au mal, bref par l’art de savoir garder sa raison et son calme.

 

L’être aimé vous a quitté pour un autre ? N’ajoutez pas la colère à la peine.

L’injustice s’est abattue sur vous ? N’ajoutez pas la colère à l’injustice.

La maladie vous fait mal ? N’ajoutez pas la colère à la douleur…

 

 

Mais ce que les stoïciens appellent sagesse, cette manière de retenir sa colère, qu’est-ce qui nous dit que ce n’est pas simplement de la résignation ?

Il s’agit pour les stoïciens non de résignation mais d’acceptation, de consentement à l’ordre du monde. Puisque nous vivons selon eux au milieu d’un Cosmos clos traversé des forces du destin, on comprend qu’il vaille mieux les accepter que de se mettre en colère.

 

Mais même chez des philosophes qui croient davantage à la contingence qu’au destin, bref chez ceux qui pensent qu’on peut changer les choses, on trouve cette idée d’une inefficacité de la colère. Mieux vaut, si l’on veut changer les choses, savoir garder la tête froide, analyser les forces en présence pour agir sereinement plutôt que de se mettre en colère.

 

D’ailleurs, quelle étonnante expression : « se mettre en colère »… Ce n’est donc pas l’injustice ou la violence du monde qui nous met en colère, mais nous qui nous mettons en colère nous-mêmes, comme si la colère était toujours jouée, théâtralisée… Et voilà un soupçon de plus sur la colère, une raison de plus pour lui préférer la sagesse, l’argumentation ou l’action organisée

 

 

Mais c’est oublier la belle vertu de la colère.

Elle vient indiquer qu’une limite a été franchie, qui n’aurait jamais dû l’être, et que le franchissement de cette limite est insupportable. Elle vient indiquer qu’il y a du non négociable, et que ce non négociable se passe d’arguments.

Je pense à la grande colère de Meursault à la fin de L’Étranger de Camus. Il y a tant de choses qui laissent Meursault indifférent, il peut supporter la prison et la bêtise des hommes, l’éloignement de Marie et le rapprochement de l’échéance de la guillotine, mais qu’un aumônier vienne lui gâcher ses derniers instants d’existence en lui répétant ses balivernes, cela, il ne peut l’accepter.

 

Je pense à la colère du peuple français qui prend la prison de la Bastille le 14 Juillet 1789. Toutes ces colères disent que « trop ,c’est trop », et quand « trop, c’est trop », c’est qu’il est aussi trop tard pour la nuance. C’est ce que la colère a de sain, de libérateur et même de joyeux.

 

 

Par ma colère, en effet, je m’affirme.

Je peux avoir raison mais, au fond, que j’aie tort ou raison n’est pas l’essentiel, l’essentiel est que je crie que j’existe et que cela fait du bien. Dans le jaillissement de ma colère, je m’affirme en même temps que cette limite que j’estime ne pas devoir être franchie.

 

Ce n’est pas toujours une limite objective, c’est la limite pour moi et c’est très bien comme ça. La colère la plus belle est celle qui me permet d’affirmer ma subjectivité. Seul Dieu, pour les chrétiens, a le droit de se mettre en colère. On comprend pourquoi la colère fait partie des 7 péchés capitaux : quand la colère me prend, je n’ai plus ni Dieu ni maître.

 

La bonne colère celle là : celle qui sert à indiquer aux autres en même temps qu’à soi-même ce qui est vraiment important, non négociable, ce sur quoi on ne lâchera pas – ou plus. C’est vrai d’un individu comme d’un peuple.

 

 

 

Charles Pépin

Philosophe

Samedi 1er mars 2025

France Inter

 



01/03/2025
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